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Racines de l'idéologie nazie

 Genèse de la pensée nazie (2)

Comment, outre des causes conjoncturelles, des causes profondes, anciennes, peuvent-elles avoir eu une influence déterminante dans l'adoption de la pensée nazie par les élites intellectuelles, économiques et politiques, et atteindre d'autres couches de la population et ce dès le XIXe siècle.  Il s'agit d'une vision de l'homme et  du monde destinée à remplacer les structures sociales et politiques, les principes d'ordre moral, mis en place par la bourgeoisie capitaliste triomphant en Allemagne.

Cette situation nous amène à nous interroger sur  l'effet des idées dans le destin  des hommes.

Dans un contexte  général particulier : la quête de l'unité

 Dans l’Allemagne du XIXe siècle,  morcelée en principautés, se manifeste et persévère une forte volonté d’unité. Mais cette quête persévérante d’unité politique échoue. De nombreux intellectuels ont pensé alors la rechercher dans la culture. L’unité a été conçue comme un retour au passé, dans la mise au jour de racines propres à la nation Allemande, s’opposant aux influences étrangères mais aussi à la modernité. Ce n’est qu’en 1871 que Bismarck réussit enfin à la réaliser, après la défaite française, faisant du roi de Prusse l'Empereur de l’Allemagne.

En même temps, en on assiste, dans ce pays, à la transformation rapide d’une économie assise sur l’agriculture en une économie industrielle, qui existait déjà en Angleterre. Cette transformation bouleverse les modes de vie d’une population en créant des inquiétudes et des difficultés nouvelles : des menaces pèsent sur le statut social et économique de certaines catégories de la population, comme les artisans ou les ruraux obligés d’aller en ville à la recherche d’un travail dans les grandes fabriques. Rentiers et employés craignent aussi une dévaluation de leur statut social. Cette transformation s’accomplit dans un temps très court.  La situation ne peut qu’empirer à l’occasion de crises économiques, liées aux fluctuations que connaît le capitalisme, dans les dernières années du XIXe siècle, tandis que s'alourdit le contexte politique international.

Une nouvelle conception de l'homme allemand: le "Volk"

Une idéologie particulière émerge en Allemagne, au cours du XIX e siècle. Elle est lié au romantisme tel qu'il  s'exprime dans ce pays. Au principe de cette pensée apparaît le "Volk". C'est un terme allemand qui désigne le peuple, mais avec un sens très particulier. Pour les penseurs allemands de la fin du XVIIIe siècle, lors de la naissance du romantisme, il signifie l'union d'un groupe de personnes et d'une réalité transcendante. Il pouvait s'agir de la nature, du cosmos, mais unis à l'intimité profonde de l'homme. Elle était la source de  sa créativité, de la qualité de ses sentiments, de ses vertus, et surtout, elle créait une parfaite union avec les autres membres du Volk. C'est ainsi que les penseurs du mouvement "Völkisch" imaginèrent l'unité morale du peuple allemand. Ils rejetèrent la société bourgeoise libérale, s'enrichissant grâce au développement de l'industrie et de la pensée matérialiste qui se manifestait aussi chez les ouvriers, en quête d'avantages immédiats améliorant leur condition de vie. L'Allemagne était censée y perdre son âme.

La référence à la nature devint plus précise: la relation de l'âme humaine se réalise avec son environnement immédiat, naturel, c'est à dire avec le paysage  d'origine. Les Allemands vivent au sein de forêts sombres, noyées de brumes. Ceux qui y vivent deviennent profonds, mystérieux comme ces forêts. Ce sont des hommes qui cherchent la lumière. Du cosmos, de la nature, rayonnent des forces vitales qui investissent le Volk, épanouissant les individus.

A ces racines naturelles, locales, s'ajoute un  ancrage historique dans un passé lointain, médiéval et mystérieux, mythique. Pour valoriser leur Volk, ils généralisaient une description flatteuse des vertus anciennes des Allemands, de leur culture, de leurs vertus, de leur conception religieuse, de leur mythologie mais aussi de la supposée pureté raciale qui serait  restée leur privilège.

Cette pureté devient un caractère majeur du Volk. Le concept de race est défendu, notamment, par un intellectuel, Houston Stewart Chamberlain, d'origine anglaise devenu allemand, grand admirateur de ce passé et  d'Hitler, ce qui aboutit à la création d'un archétype physique, celui de l'ancêtre des Allemands, l'Aryen blond, aux yeux bleus, au corps parfait, dont les qualités d'authenticité, d'honnêteté, de courage, de vaillance physique étaient liées à la pureté maintenue de la race. C'est ce qui devait permettre d'en faire un modèle pour l'Allemagne moderne,  en lui donnant une nouvelle jeunesse et le dynamisme qui manquaient à l'unité politique.

Au début, le concept de race est jugé rigoureusement scientifique. Avec le darwinisme social, il est transposé au plan métaphysique. L'apparence physique, extérieure, devient le reflet des forces spirituelles profondes, des vertus morales et inaliénables de l'homme, du moi profond: le corps humain devient le miroir de l'âme. Les penseurs völkisch  et de pseudo-scientifiques se livrèrent à l'examen détaillé de signes extérieurs, comme la forme du crâne, ses mensurations, des protubérances diverses, déterminant les caractères de l'âme raciale véritable.

 Ces chimères étaient soutenues par deux sciences relativement récentes: l'anthropologie (sciences de l'homme) et la philologie (science du langage) qui, dans la seconde moitié du siècle, situaient l'origine de la langue allemande dans une région de l'Inde que les Aryens, ancêtres des anglo-saxons, avaient quittée pour rejoindre le sol européen. Cette théorie est reprise par les penseurs völkisch. Mais ces idées conduisent les philologues à mêler un grand nombre de symboles mystiques indiens aux dieux des anciens Allemands ainsi qu'à  relier les idées théosophiques du Karma et du mysticisme solaire, au sol qui avait nourri la race. On voit ainsi la structure culturelle s'appuyer sur une base organique, biologique. Cet accent mis sur la race ne se diffusa pas dans la population avant 1870.

 Les penseurs "völkkisch "dessinent une société nouvelle :

  - C'est  dans ces années là que les idées völkish sont structurées pour la première fois, par des universitaires. Ils critiquent l'unité allemande, qui n'établissait, selon eux, qu'une cohésion superficielle de la population sur des bases matérialistes ainsi que la modernisation économique et l'urbanisation qui ne répondaient pas aux principes völkish.

-  Ces idées furent présentées en 1878, dans un recueil d'articles sous le titre: "Ecrits allemands", selon lesquels seule une force vitale, présente dans l'âme allemande, était en mesure de structurer l'unité allemande. La religion de ce peuple  doit être fondée non sur l'orthodoxie du christianisme moderne, mais sur sa forme traditionnelle. L'accent est mis sur la spiritualité intérieure de l'homme et la révélation personnelle. C'est ce qui pouvait régénérer la nation allemande. C'est donc une foi germanique qui est associée au Volk, donnant un caractère mystique à cette foi germanique, liée à la nature. La religion ainsi conçue serait donc un élément important de l'unité morale de la nation.

 -Le sentiment d'appartenance au Volk dissout l'individu dans une société organique, semblable à un être vivant. Les nazis reprendront ce thème. Cette conceptions, d'un peuple singulier, exceptionnel, unique par ses vertus et sa nature raciale, ne peuvent qu'entretenir un sentiment national puissant, dynamique, exclusif et agressif.

 -Deux caractères peuvent encore caractériser la société pensée par les auteurs völkisch. En premier lieu, vient l'élitisme. La nation ne peut être conduite que par un groupe restreint d'initiés ayant une vision claire du destin de cette nation. Leur mission est de guider et d'éduquer les masses, en usant de mythes. "La démocratie, c'est la civilisation, l'aristocratie, c'est la culture". L'aristocratie a pour rôle de veiller à la qualité culturelle de la nation, seul moyen de lui donner  une âme. Les Nazis reprirent cette idée, mais, pour conquérir le pouvoir, ils s'appuyèrent sur les masses.

 -En second lieu, la société Völkisch devint raciste. Elle ne pouvait accueillir en son sein que des membres du Volk. Cette spécificité excluait donc tous ceux qui n'appartenaient pas à la communauté nationale. C'est le cas tout particulièrement des juifs. Peuple issu du désert,  ils sont considérés, dès le début, comme des étrangers, dans le principe inassimilables au Volk, qui n'a aucun caractère universel.

Au cours des vingt dernières années du XIXe siècle, l'accent mis sur la race devint courant. Le darwinisme social fut utilisé pour affirmer la supériorité de la race aryenne. Le juif devint même l'ennemi mortel du mouvement völkisch, car il est considéré comme porteur de la modernité économique et du matérialisme, étant donné son rôle jugé déterminant dans l'industrie et la finance. L'antisémitisme fut généralement associé à la pensée völkisch.

 Une propagande intense

Mais ce mouvement ne resta pas isolé,  il trouva de nombreux et importants relais dans la société allemande. La diffusion des idées fut organisée par un réseau d'intellectuels, universitaires, écrivains, journalistes "spécialisés".

 Ce fut surtout par l'éducation des jeunes générations que s'effectua la plus profonde pénétration de l'idéologie Völkisch dans la société allemande Le Mouvement de jeunesse, qui connut un développement très important, fut aussi un vecteur significatif de l'idéologie Völkisch. Elle se rallia à un antisémitisme virulent. D'autres organisations servirent de relais à ces idées.

 Après la première guerre mondiale des œuvres littéraires exaltèrent l'esprit guerrier qui pouvait permettre de forger une identité nationale.

Certaines organisations adoptèrent les principes des pangermanistes. Elles  se présentaient comme  patriotes et furent les fermes soutiens d'un impérialisme allemand s'inspirant des principes völkish. Elles recrutèrent,  se rassemblèrent, en 1890, dans une organisation nationale, Pour l'essentiel, le pangermaniste recrutait des adhérents parmi  la petite bourgeoisie en quête d'ascension sociale.

Dès 1908, l'antisémitisme se manifesta avec force, et, les pangermanistes proclamèrent : " l'idée selon laquelle tout ce qui avait visage humain devait bénéficier de l'égalité des droits était une doctrine en contradiction avec la vie quotidienne".

 Ainsi, avant la première guerre mondiale, cette idéologie "Völkisch"   avait déjà  séduit de nombreux secteurs de la population allemande.

L'antithèse des lumières et de l'humanisme

La vision völkisch est une utopie qui n'a pas adopté une expression politique sous la forme d'un programme et d'un parti structuré. Mais elle a pénétré le milieu universitaire, les mouvements de jeunesse allemands, le système éducatif, bien avant 1914. Elle s'est ensuite propagée dans les organisations d'anciens combattants et une part importante de la population allemande. Le mouvement nazi parviendra à utiliser à son profit les idées völkisch comme toutes les frustrations et les aspirations du peuple allemand pour mener à bien son projet politique.  

L'individu n'existe pas. Il est fondu dans le peuple, le Volk. Il est déterminé par son environnement naturel, par le cosmos d'où rayonnent les forces vitales, par le paysage où il a vécu, travaillé, créé. Il n'a pas d'autonomie, ni de liberté de penser,  il n'a droit ni au doute ni à l'esprit critique. Les Germains, membres du Volk, ont un glorieux passé, d'inoubliables racines historiques. Leurs vertus guerrières, leur courage, leurs dieux, leurs légendes sont dignes d’intérêt. Leurs ancêtres lointains, pensent-ils, sont les Aryens, issus de l’Inde, venus occuper l’Europe, apportant leur énergie leur créativité, leur vitalité. L’aspiration à la force et à la conquête appartenaient à leur nature de race supérieure. Mais ils pouvaient être contaminés par un sang inférieur. Le mélange des races, en altérant sa pureté, aboutissait à l’extinction raciale et au déclin de la civilisation. Les nazis reprendront cette théorie raciale pour en faire un des fondements de leur politique.

Cette vision mystique de la race exclut la notion d’humanité, rassemblant tous les membres de l’espèce humaine, et celle d’universalisme, dans un relativisme, excluant tous ceux qui n’appartenaient pas à la race supérieure. C’est une pensée relevant de la métaphysique, irrationnelle, reposant sur une croyance privilégiant l’émotion sur le raison. L’antisémitisme permet de mobiliser la vindicte populaire contre l’étranger, celui d’où vient un danger de mort pour la nation allemande, sa pureté et sa force. Goebbels, maître de la propagande nazie, saura utiliser cette idée répandue dans un large public et la radicalise pour justifier les persécutions contre les juifs, et la volonté d’extermination de tout un peuple. Les nazis ajouteront à ces exclus tziganes, homosexuels, handicapés mentaux qui peupleront les  camps d’extermination ou seront victimes d’une euthanasie.

La société issue de cette pensée est donc raciste opposant sa singularité à toutes les autres. La communauté Volk doit former une nation soucieuse de sa survie, liée à la pureté de la race aryenne, dans le respect,  de ses origines culturelles  historiques. La culture s’oppose à la civilisation abstraite, matérialiste et mécanique. Le sentiment de supériorité et le mépris, nourrit un nationalisme exclusif. Les nazis ont su utiliser ce sentiment pour gagner l’adhésion populaire à leur politique extérieure agressive, fondée sur la revendication d’unir les populations parlant allemand, et celle d’un espace vital.

Cette société ne peut être que hiérarchisée et autoritaire. L’élite doit guider les masses peu conscientes, l’individu s’efface devant le groupe et sa qualité première est l’obéissance aveugle. La culture du chef, Le führer, est un principe capital dans cette pensée. La démocratie est le pire des régimes. Les nazis établissent ainsi un régime totalitaire, éliminant toute opposition, fondant leur gouvernement sur la terreur.

Conclusion

L'idéologie nazie n'est pas née ex-nihilo, elle s'est greffée, tout en la radicalisant, sur une pensée préexistante dont on retrouve l'essentiel des thèmes dans Mein Kampf (1923) où s'exprime  le rejet radical du rationalisme et de l’universalité des Lumières aussi bien que de l’humanisme. Le chef nazi y expose très clairement ses idées, son programme et son obsession antisémite. Mais, à l’étranger, on n’y a vu que divagations et délires romantiques et racistes, similaires à ceux  développés par des écrivains plus connus. Et, les élites  tant intellectuelles que  politiques ont leur part dans l'accession d'Hitler au pouvoir.

Les situations de crises, comme celle que nous connaissons, restent propices à la résurgence de certains thèmes et à la banalisation d'idées dangereuses, face auxquelles nous devons rester  particulièrement vigilants.   

J. M.

Bibliographie

George L. Mosse: Les racines intellectuelles du Troisième Reich. Points Histoire H 389 (2008)

Histoire: Hitler: le nazisme et les Allemands. N° 18 (janvier - mars 2003)

Philosophie magazine, hors série N° 13 (février-mars 2013)

Ian Kershaw, Qu'est-ce que le nazisme? Problèmes et perspectives d'interprétations. Folio histoire 40 (1989)

Réflexions sur la genèse de la pensée nazie

La pensée nazie a été l’accomplissement en Allemagne d’une tendance constatable dans toutes les sociétés humaines depuis toujours : la recherche de l’efficacité dans l’ordre. Une tendance qui porte les plus forts à s’associer sous l’autorité du plus fort d’entre eux, pour asservir les moins forts et éliminer les plus faibles. Les éléments qui ont favorisé l’épanouissement de cette tendance au culte de la force, avec le nazisme ont bien été identifiés.

Un nationalisme fondé sur le culte des racines germaniques : une conception de la nation qui exclut. (Par opposition à la nation qui rassemble si elle est fondée sur un consensus de vocation exprimé dans la citoyenneté.) Les racines germaniques, exaltées notamment par la littérature et la musique dans le romantisme allemand, s’appuient sur le mythe médiéviste du chevalier germain, la particularité d’une âme allemande proche de la nature du pays et caractérisée par la langue ; enfin, le mythe de l’aryanisme du peuple allemand. Ce nationalisme s’appuie sur une conception de la société où le groupe prime sur l’individu, sur la recherche d’un guide de la nation et sur l’expansionnisme national dans le pangermanisme.

Ces trois éléments, culte de la force et du chef, primauté du groupe sur l’individu et nationalisme pangermanique, ont été exacerbés par des circonstances aggravantes.

Les mouvements ouvriers faisant planer le danger communiste.

Des doctrines pseudo-scientifiques comme le darwinisme social ou la justification de la notion de races humaines par la Phrénologie.

La mise au point des techniques de manipulation des masses.

Les racines profondes animant la psychologie de l’être humain allemand, ne sont-elles pas plus anciennes et plus permanentes que leur expression nazie ?

Si c’était le cas, comment en tenir compte dans le monde actuel et à venir ?

C. J. D.

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