La laïcité comme garantie de l'espace public

Depuis 1905, les choses ont bien changé : la répartition du panorama des religions et la manière dont celles-ci s'immiscent dans la vie des sociétés ont évolué. D'autre part, la mondialisation et les structures supranationales, dont l'impact juridique bat en brèche l'Etat-nation, modifient non seulement les frontières de l'espace public mais encore sa consistance même.

 

Or l'espace public est le lieu du débat, lieu dans lequel le citoyen participe à l'élaboration des règles de la société.

Ainsi, nous ne pouvons penser construire l'Europe si elle n'est pas laïque, car pour que la loi européenne s'impose réellement, il faudrait un espace public européen qui permette aux citoyens de s'exprimer en toute liberté de conscience, pour forger les règles qui s'appliquent de manière républicaine.

Telle est en fait la question : Comment parler de la laïcité aujourd'hui et pour l'avenir ? Comment la faire vivre en France, mais aussi en Europe, de manière à éclairer mieux que ce n'est le cas aujourd'hui, les questions de respect des libertés individuelles fondées sur la liberté de conscience et sur la séparation entre sphère publique, où doit régner l'intérêt général, et sphère privée ?

Les réponses apportées à cet ensemble de questions et aux paradoxes qui peuvent en découler, éclairent ce que doivent être la citoyenneté et l'éducation dans un espace républicain digne de ce nom.

Si nous voulons participer à ce travail, auquel se doit de participer tout citoyen et qui consiste à établir la laïcité dans les faits, il faut d'abord comprendre le rapport entre République et Religion et voir en quoi le principe de laïcité peut permettre de réguler la relation entre la société et les religions.

La République, forme aboutie de l'Etat, a à traiter avec les religions, formes diverses de ce que l'on appelle communément « la religion ». Mais il est vrai que chaque nation et chaque Etat traite différemment la question de la religion en fonction de son histoire et de celle de ses rapports avec les religions qui se sont exprimées sur son territoire et dans sa culture.

Pour traiter cette question, nous commencerons par examiner ce qu'il en est de la laïcité en France et en Europe, avant de préciser en quoi le principe de laïcité constitue la pièce centrale de la société républicaine et de proposer quelques pistes.

•I. Examinons l'état de la laïcité en France et en Europe

Comment maximiser le niveau de démocratie dans la République pour élever de manière concomitante l'autonomie des citoyens et la qualité organisationnelle de la société ? En fait, telle est la question qui se pose à nos sociétés. La laïcité apporte une réponse cette question.

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Le mot laïc qualifie au XVIème siècle « celui qui ne fait pas partie du clergé[1] ». Il qualifie aussi ensuite « ce qui est indépendant de toute confession religieuse[2] ».

L'origine du mot laïcité se trouve dans le terme grec laos, qui désigne l'unité d'une population, considérée comme un tout indivisible. Le laïc est fondamentalement l'homme qui appartient à un peuple, dans un statut sous-tendu par les principes de liberté individuelle et d'égalité. Parallèlement, il faut observer que le vocable « démocratie », du terme demos, recouvre le sens de peuple entendu comme communauté politique. Démocratie et laïcité, renvoient donc à la même idée : celle d'une souveraineté du peuple sur lui-même[3]. Donc concerne la laïcité, tout ce qui permet au laïc, oserai-je dire au profane, d'être institué citoyen. D'où le rôle des instituteurs et de l'Education nationale.

Dans son usage, le terme de laïcité recouvre donc une dimension de « non connotation », indépendance des religions, de sécularisation, pour les institutions, mais induit aussi, de par son étymologie, un certain nombre de conditions liées à la citoyenneté.

Au-delà du mot, la philosophie politique et la tradition républicaine françaises ont montré que laïcité est un principe universel qui conditionne l'établissement des droits et même du droit dans la République. Si ce principe est à peu près admis internationalement, force est de constater que la compréhension de son application, les interprétations et les usages qui en sont faits diffèrent, voire même divergent.

A. En France

Du fait de notre histoire, il nous apparaît naturel que la France ait mis en avant la laïcité comme pilier central de la République. Il est convenu de trouver trois grandes ruptures qui ont engendré la forme française de la laïcité.

La première est celle provoquée par la Révolution lorsque le pouvoir de l'Etat passe du Roi à la nation. Le principe républicain affranchit alors l'individu. Il sépare l'institution religieuse de l'Etat. L'article 3 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 consacre cette évolution : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'émane expressément du peuple. »

La deuxième rupture est la séparation des églises et de l'école. L'instituteur à l'école, le maire à la mairie et le prêtre à l'église. Edgar Quinet[4], député de la IIème République et F\M\, publie dès 1850 L'enseignement du peuple et donne une véritable impulsion à la laïcité. Il disait que l'instituteur laïc doit-être « le précepteur du souverain », c'est-à-dire du peuple. Il s'agit bien de former des citoyens critiques, munis des outils qui leur permettront de perfectionner la République.

La troisième rupture est la séparation des Eglises et de l'Etat appliquée par la loi du 9 décembre 1905.

Cependant, si la France a mis l'accent sur la laïcité, il faut constater que les Etats européens ont dans leur ensemble composé avec les religions et n'ont pas sécularisé l'espace public. Si bien que la séparation des églises et de l'Etat n'est institutionnelle qu'en France et au Portugal.

B. Un principe qui reste à établir en Europe

Beaucoup de Constitutions trouvent leur inspiration dans une transcendance religieuse. Le roi du Danemark doit appartenir à l'Eglise évangélique luthérienne, religion d'Etat. La reine d'Angleterre est chef de l'Eglise anglicane qui a le statut d'Eglise établie. L'épiscopat est représenté es-qualité à la Chambre des Lords.

En Grèce, la Constitution a été promulguée au nom de la « Sainte trinité, consubstantielle et indivisible ». L'orthodoxie est la religion officielle. Mais l'application de la laïcité progresse : il y a quatre ans que l'enseignement religieux n'est plus obligatoire et les enfants peuvent en être retirés après une déclaration invoquant la liberté de conscience.

La Constitution irlandaise travaille « au nom de la très Sainte trinité, dont dérive toute puissance». En Belgique et au Pays-Bas, la Constitution est fondée sur ce qu'on appelle le système de « pilarité » (de pilier). Ce système est considéré comme assurant la liberté de conscience mais il s'agit d'une laïcité conçue comme une forme de croyance parmi d'autres, et non comme le principe fondateur de la République ce qui semble un non-sens. La religion catholique continue d'ailleurs à bénéficier d'un statut privilégié.

L'Autriche, l'Italie et l'Espagne sont des pays concordataires. En Allemagne, le contribuable verse un impôt cultuel sauf s'il abjure sa confession d'origine. Quant au Portugal, dont la constitution prévoit la séparation des Eglises et de l'Etat, il reste régi par un concordat avec le Saint-Siège depuis 1940.

Les pays d'Europe de l'Est sont marqués par un fort poids du religieux. C'est ainsi l'Union Européenne qui a fait pression pour que la Constitution Polonaise votée en 1997 comporte le respect des droits humains et « l'égalité de toutes les religions ». Dans les faits, l'Eglise catholique fait référence.

En France même, le statut particulier de l'Alsace et de la Moselle, soumises au concordat de 1801 peut interroger. Les ministres du culte sont rémunérés par le Ministère de l'intérieur, leurs pensions de retraite sont versées par l'Etat, ils sont logés par les communes ; mais ils ne sont pas fonctionnaires et ne sont donc pas concernés par les suppressions de postes ni les restructurations. Ce qui laisse songeur sur la capacité d'indignation des citoyens.

Au total, pour l'Union européenne en tant qu'institution, la question reste posée de savoir comment réussir la transition entre les Etats-nation qui ont perdu des pans entiers de leur souveraineté et une méta-république européenne, qui, si elle veut être légitime doit garantir l'expression libre de ses citoyens dans le forum et non se contenter du plus petit dénominateur commun.

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La laïcité est le principe fondamental qui donne sa dimension démocratique et citoyenne à la République. Comment peut-on parler de citoyen, dans un pays où la laïcité n'est pas établie ? L'individu n'a alors en effet pas le même statut dans la société, selon qu'il est d'une religion « normale », ou non, et cela peut être pire s'il n'avoue pas de religion. Sa voix ne peut donc de facto pas s'exprimer réellement en accord avec le principe d'égalité dans l'espace public. La liberté de conscience, l'autonomie de jugement, ne sont pas assurés puisque ce pseudo-citoyen doit se conformer au référentiel de valeur connoté ou livré par une religion et ses « autorités », ses clercs.

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C'est donc très objectivement qu'il apparaît que le principe universel de laïcité reste largement méconnu et qu'il est nécessaire de le faire partager avec ceux qui veulent construire une véritable société européenne.

Il ne s'agit bien sûr pas d'imposer la laïcité d'autorité, car ce serait là un acte contraire, par son dogmatisme, au principe même que nous défendons. La laïcité doit s'imposer démocratiquement. Il faut faire prendre conscience du fait que la laïcité est effectivement un principe pertinent pour aujourd'hui et pour demain, efficient et fondamental pour la République. Le triomphe de la laïcité est avant tout celui de la raison.

La laïcité n'est donc pas un « courant » philosophique, pas plus que politique, comme tentent de le faire croire ses ennemis. Certains partis ou courants de pensée peuvent se l'approprier et mettre en avant certains aspects particuliers, mais la laïcité est plus fondamentalement la philosophie qui donne sens à la République.

Elle est un principe universel, qui intéresse chacun, parce qu'il garantit à chacun sa liberté de conscience et le fait de pouvoir évoluer individuellement dans ses convictions et ses croyances sans avoir à en rendre compte. A ce titre, plus que de sphère privée, il faut parler de sphère individuelle. La laïcité est universelle parce qu'elle répond aux attentes de tous ceux qui cherchent un lieu de débat : le forum de la République, creuset où se construisent les idées. En posant l'indéfectibilité de la liberté de conscience dans la République, la laïcité permet ensuite de construire la justice avec les lois qui garantissent les libertés et qui fixent les devoirs également citoyens.

Aujourd'hui encore, comme l'avaient imaginé les anciens, Grecs avec l'agora, Romains avec le forum, c'est seulement à partir de la rencontre et de la confrontation des idées et des idéaux dans l'espace public, que l'on peut forger une véritable citoyenneté vivante et dynamique. Espace public, c'est ainsi que s'appelle notre agora. C'est en effet uniquement dans l'espace public, permettant le débat citoyen, que peuvent s'établir les consensus permettant le vivre ensemble, qui ne peut se réduire à un « être ensemble », ou bien le combattre ensemble.

•II. Actualiser le débat et poser les éléments opératoires d'aujourd'hui et de demain

A. Clarifier notre représentation de la République

Trois définissions de la République peuvent semble-t-il nous servir de jalons :

•· D'abord la Res Publica dans son sens générique, en tant simplement qu'organisation de la chose publique. Ceci indique que l'on fait le choix d'un certain ordre face au désordre ;

•· Ensuite la définition de Littré, pour lequel la République est « le gouvernement de plusieurs » ;

•· Enfin, celle de la Constitution française, soit « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».

Nous observons une évolution sémantique qui correspond à une valorisation significative de la définition, à une explicitation. Si la République est d'abord un Etat organisé, la France choisit de mettre en avant la dimension qui implique le partage du pouvoir et l'implication des citoyens ; jusqu'à spécifier que seule est République celle qui les implique tous dans le gouvernement.

Cette volonté n'est pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le fruit du « sens de l'histoire », puisque des régressions sont possibles et qu'il y a eu des régressions historiques, le pouvoir revenant dans les mains de quelques-uns ou d'un seul... On a alors du mal à dire quand s'arrête la République.

La République peut aujourd'hui se comprendre comme un idéal organisationnel de l'espace public répondant à une dialectique, à une logique d'ouverture démocratique ou de fermeture. Cette définition de la République peut se comprendre dans toutes les cultures, car elle fait intervenir non une histoire institutionnelle, mais une logique entre les trois termes de la proposition de participation des citoyens à l'organisation de la société. Ce qui est à comprendre dans cette définition, ce ne sont pas les termes isolés, mais le rapport établi entre les termes, ce rapport contribuant à définir chacun d'entre eux. Cette logique transcende les langues et les langages.

La res publica, chose publique permet l'institution du citoyen dans l'espace public qu'elle organise. Elle doit donc protéger l'espace public des pénétrations privées communautaires fussent-elles économiques, pour que le laïc puisse exercer effectivement son pouvoir régalien comme citoyen en étant libéré de possibles pressions insidieuses. C'est là le véritable sens générique et fonctionnel, qui dépasse l'expérience française, de la laïcité. La Laïcité est le principe par lequel la République protège tant la liberté individuelle de conscience que l'espace public, en normant et ritualisant l'usage qui est fait des croyances dans cet espace.

B. Les croyances et la « foi » étaient autrefois affaire de religion.

La religion, en tant que phénomène humain et social, reste une source d'interrogations. Les religions diffèrent beaucoup entre elles et quand nous parlons des religions, nous les jugeons consciemment ou inconsciemment à l'aulne d'une représentation de la Religion, qui est propre au construit culturel de chacun, et en fonction de connotations très fortes, propres à des expériences communautaires structurantes de la personnalité et à des psychologies qui peuvent orienter les individus vers des comportements durs et peu prévisibles. Les propos tenus sur ces sujets peuvent provoquer en retour des comportements de protection ou d'agression, conditionnés par un construit culturel complexe.

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Deux pistes sont proposées quant à l'étymologie du terme religion[5]:

•o l'une du latin religio par les verbes ligare, religare, lier, relier.

•o L'autre signalée par Cicéron de religere : recueillir, legere : ramasser. Ces deux pistes nous permettent d'appréhender deux dimensions de la religion, la première qui relie les hommes entre eux et au sacré ou à la divinité, l'autre qui est celle d'une ascèse spirituelle de la conscience. Cette seconde dimension apparaît très personnelle, mais la première, essentielle est à n'en pas douter, ne peut être laissée aux religions.

La république n'est-elle pas le creuset d'une vie sociale et d'une morale civique qui relie les hommes. La République n'a-t-elle pas ses croyances et ses rites ? C'est peut-être alors ce qu'on appelle faire de la République sa religion. C'est aussi permettre aux citoyens de communier en dehors de religions qui les séparent.

Troisième point sur lequel s'appuie la religion : elle a toujours un récit qui veut donner sens à la mort, ce qui a un poids fort entre les générations.

Le deuil collectif a beaucoup de mal à se détacher des religions traditionnelles et il n'y parvient que très rarement. C'est la grande réussite de la religion catholique en France que d'avoir pu revenir sur le devant de la scène, malgré les tentatives de la République de mettre en place des rites qui lui soient propres entre 1789 et le Concordat en 1801, ou durant la troisième République.

La tradition religieuse trouve ainsi un ancrage fort dans la socialisation des individus. Mais les pratiques communautaires ne doivent jamais conduire à fragmenter l'espace public.

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C. Espace public : société et communautés

Dans l'espace public, le rapport de la société avec les communautés doit faire l'objet d'une attention particulière, de manière à ce que le forum ne soit pas détourné au profit d'intérêts particuliers[6].

Si les religions mettent en avant leur capacité à donner une dimension spirituelle à l'homme, force est de constater qu'en tant que systèmes communautaires elles imposent le plus souvent des valeurs et des comportements aux individus.

Par la laïcité, qui sépare sphère publique et sphère privée, la république protège ainsi autant la liberté des personnes que son fonctionnement propre. L'Etat agit en effet par rapport à des finalités objectives qui sont celles du politique et si possible celles qui correspondent aux attentes des citoyens.

La nation, dont l'avènement correspond aussi à celui de la République en France, est une communauté puissante et unifiée par sa culture, qui génère au travers de l'Etat et toutes les organisations décentralisées qui s'y rattachent, du lien et une affiliation sociale. Avec la nation, la République s'appuie sur une communauté forte pour soutenir un système de valeurs à prétention universelle. Le mot prétention, n'est ici à entendre avec aucune connotation péjorative. Il indique seulement que les valeurs instituées étant le fruit d'un éclairage de la raison validées par la majorité objective des citoyens, elles prennent force universelle, mais sont cependant exprimées dans la culture et la langue de la nation. Elles ont donc une portée universelle dans l'esprit de ceux qui les ont conçues, mais demandent à être explicitée à ceux qui sont dans un autre contexte culturel et langagier.

D. La République, est aussi un système de valeurs communes[7]

Si les convictions de chacun sont du domaine privé les valeurs de justice fondent l'espace public. Ces valeurs de justice s'imposent en droit à tous les membres d'une même société. Elles doivent donc faire l'objet d'un consensus philosophique, au moins dans la société considérée, sinon de manière universelle.

Une insoumission à « l'esprit de la loi » peut être envisagée comme le fait de la liberté individuelle à l'insoumission, ou bien comme une incompréhension, ou bien encore comme la soumission à d'autres allégeances. Si la Liberté de conscience est un principe et plus encore un droit reconnu dans les déclarations universelles, il reste à s'interroger sur ce que peut être la Liberté de conscience dans les faits lorsqu'une religion indique un chemin différent de celui qui correspond à la logique de la loi. - (la religion apparaît alors comme un recours sur lequel on peut s'appuyer avec « bonne conscience » pour détourner la loi en matière de liberté individuelle dans l'espace privé[8] autant que dans l'espace public).

Si l'autonomie de jugement est un idéal jamais parfaitement atteint, il est néanmoins clair que les progrès sur la route de cet idéal permettent aux citoyens un épanouissement de l'être humain, et aux sociétés un développement culturel, qui constituent de véritables progrès humains[9].

Je voudrais préciser ici deux points :

Il arrive que l'on dise d'une religion qu'elle est plus une philosophie de la vie qu'une véritable religion[10], comme on le dit notamment des religions asiatiques. Cependant, ce qui est déterminant, c'est la manière dont cette philosophie oriente la conscience humaine. Est-ce vers une autonomie de la conscience, ou bien vers une soumission ou une délégation de cette conscience à un clerc ?

Ensuite, puisqu'il s'agit ici de l'aspect « repère de valeurs », il faut aussi noter ces nouvelles allégeances aux clercs de l'économie, qui fonctionnent comme des religions qui masquent une idéologie, faussent les repères de valeurs de ceux qui en sont victimes et s'appuient sur des dogmes infondés ainsi que sur des stratégies d'influence destinées à faire vendre ou à faire élire.

Au total, on voit bien que l'Etat est la substance matérielle de la République et que bien souvent, quand c'est l'Etat qu'on attaque, c'est la République qu'on défait.

•III. Alors, ne faut-il pas faire quelques propositions pour que la laïcité s'impose en tant que telle ?

A. Premier paradoxe, la laïcité ne peut s'imposer d'autorité, mais il y a malgré tout un triple combat à mener :

•1. Eclairer, exprimer dans l'espace public ce que doit être le modèle républicain d'organisation de nos sociétés et élever le niveau du consensus démocratique sur ce sujet ;

•2. Défendre une éducation républicaine réellement laïque et donc publique ;

•3. Porter chez nos partenaires européens le débat sur la liberté de conscience, de manière à mettre en évidence les évolutions nécessaires à un véritable progrès social.

Nous voyons bien qu'émerge une difficulté majeure entre ce choix éthique de société que nous proposons et les choix économiques qui sont le plus souvent faits par les responsables politiques, plaçant le combat pour les libertés au second plan.

B. Second paradoxe : la formation du citoyen

Contrairement à ce que certains ont cru, l'enseignement des connaissances ne suffit pas à éduquer aux valeurs de la République. Où est passée l'éducation à la République dont parlait Quinet? Certains responsables dans le passé, comme Emile BUISSON, ont préconisé en leur temps, d'éduquer en instituant une « religion de la liberté ». Il s'agit bien d'éduquer. Nous savons que les connaissances théoriques, qu'elles soient scientifiques ou non, ne rendent pas forcément plus humain, ou insuffisamment en tout cas. Pour être comprises en conscience, les valeurs de la République doivent faire l'objet d'un rapport à la sensibilité et au réel avant d'être intériorisées. Il faut donner au citoyen les moyens de se forger son propre jugement, sa propre philosophie, sa propre religion en s'appropriant la cosmogonie[11] républicaine. Si tous ne parviennent à ce stade, il faut du moins, comme le veut la tradition républicaine française, que chacun ait accès à cette possibilité d'échapper aux clercs. Bref, il faut régénérer une véritable instruction publique.

C. Troisième paradoxe : la nation et les peuples

L'idée fondamentale, de la nécessité d'une éducation à la Liberté avec la laïcité comme guide, devrait pouvoir faire sens et consensus au-delà de notre pays. Depuis la fin du 18ème siècle, ce n'est pas seulement la France qui a choisi de construire la République. D'autres en Europe ont suivi cette idée d'une émancipation citoyenne, même si la laïcité n'a pas été identifiée par eux comme un concept central. En Allemagne, même si les règles juridiques et les mises en œuvre diffèrent, un service universel existe et a été maintenu, le concept de citoyen est vigoureux et la socialisation aux valeurs de républicaines et européennes est activement soutenue. Cette piste européenne doit être suivie avec attention et détermination.

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En ultime conclusion, si la Laïcité reste un terme franco-français du 19ème siècle tout à la fois connoté culturellement et historiquement, alors il perdra de son sens et sera dévoyé, voire même pourquoi pas oublié. Si son véritable sens philosophique universel est clairement mis en avant, c'est-à-dire autant dans que hors de l'hexagone, et si l'éducation citoyenne qui doit en découler est mise en œuvre, alors il est comme une clé de voûte qui structure la République et peut orienter la construction sociétale d'une République Européenne des Peuples.

 


[1] ROBERT

[2] Ib.

[3] Cf. sur ce point les travaux de la Commission européenne relatifs à la laïcité

[4] Républicain et Franc-Maçon du GODF

[5] Voir l'article de l'Encyclopédie Universalis sur « Religion »

[6] Préservation du principe d'égalité citoyenne.

[7] C'est un système de valeurs objectivées par les citoyens comme conformes à leur passé comme à leur idéal d'avenir.

[8] Ces infractions ne sont pas moins graves que celles qui ont lieu dans l'espace public lorsqu'il s'agit de mutilations comme l'excision, ou d'abus sur le travail des mineurs, ou autres.

[9] Bien sûr le progrès humain est à différencier du progrès technologique, même s'ils sont liés. Les excès du développement économique constituent d'ailleurs probablement plus une régression de l'humanité et introduit la soumission à la facilité, comme nouvelle perversion morale.

[10] Cf. religions asiatiques.

[11] Le terme cosmogonie doit être compris comme la manière dont est engendré le monde, et plus particulièrement le monde de l'esprit.

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