« La morale n'est légitime qu'à la première personne. La morale ne vaut que pour soi ; pour les autres, la miséricorde et le droit suffisent. » André Comte-Sponville pose très clairement la question des rapports entre la morale, la justice et le droit puisque ces trois concepts sont intiment liés. En effet, comme le suggère Paul Ricoeur, « le droit sans la morale, ce n'est pas la justice. » En fait, la morale est du domaine de l'individu tandis que la justice est de celui de la société.
L'étude de la Morale est une des préoccupations majeures des penseurs humanistes De quoi s'agit-il : d'un ensemble de normes communément admises comme devant s'imposer au corps social.
En fait, la Morale est le résultat de l'expérience de vie en commun d'un groupe d'hommes qui ont fini par constituer une communauté sur la base d'un certain nombre de préceptes du vivre ensemble ; ces préceptes leur ont assuré de pérenniser leur communauté. La morale est une conscience partagée qui fait que certaines valeurs sont partagées.
Avant toute chose, il nous a semblé important de poser un certain nombre de définitions et de distinctions sémantiques. Elles vont nous permettre d'éviter toute ambiguïté et confusion concernant, notamment, la triade : « Ethique / Morale / Déontologie ». Idem en ce qui concerne les deux sens du mot justice : institution et valeur dont découle le rapport justice/morale.
La Morale
Pour Kant, agir moralement est le fait d'un être libre et raisonnable dont l'action est conforme aux principes universels de l'action par devoir. Agir par devoir, c'est-à-dire uniquement en respectant la loi morale, c'est être libre. On ne doit agir que si l'on veut que son action devienne une loi universelle : si notre action a une fin, celle-ci doit être universelle et commune aux autres êtres raisonnables qui constituent la société. L'humanité doit alors toujours être traitée comme une fin et jamais simplement comme un moyen.
C'est pourquoi la morale kantienne prend en compte un ensemble de notions fondamentales : liberté, devoir, loi, obligation, personne, universalité, autant de notions essentielles au domaine du droit, de la justice.
Kant distingue le droit et la morale comme relevant de deux législations : « la législation éthique, quand bien même les devoirs pourraient être extérieurs, est celle qui ne saurait être extérieure ; la législation juridique est celle qui peut aussi être extérieure. Ainsi c'est un devoir extérieur de tenir la promesse donnée dans un contrat ; mais le commandement d'agir ainsi uniquement parce que c'est un devoir sans tenir compte d'un autre mobile n'appartient qu'à la législation intérieure. » (Kant, Doctrine du droit, §3).
La législation intérieure, morale est, selon Kant, du domaine de l'intériorité de la conscience. Au contraire, le devoir juridique, devoir de coexistence entre les personnes, n'est pas du domaine de la législation intérieure. La moralité de nos actes s'appréhende plus aisément quand aucune punition ne menace de réprimer une transgression. En ne risquant rien, nous sommes pleinement responsables de nos actes.
Dans « Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle » (Cerf, Paris, 1996) Jürgen Habermas nous dit que « le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun souhaite faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle. »Le non respect du droit équivaut au non respect de règles du droit, c'est-à-dire des lois, décrets ou principes définissant les rapports juridiques entre les personnes qui, si elles sont parfois universellement reconnues, font toujours l'objet d'un choix social et politique. Le non respect de la loi morale est une transgression à l'égard de l'universalité de l'humanité toute entière.
L'éthique
C'est un outil qui s'ajoute à la morale pour nous guider, nous aider dans nos prises de décisions. Qu'apporte-t-elle de plus ?
A l'origine, la morale et l'éthique désignaient aussi bien les mœurs et les codes destinés à les régir que la réflexion sur lesdits mœurs et codes.
Aujourd'hui la morale nous ennuie, les cours de morale n'existent plus à l'école (même si un ministre en quête de suffrages souhaite les y réintroduire) et faire la morale est devenu « ringard ». Pire, Alain Etchegoyen estime que nous sommes une société « démoralisée » où la morale et les repères ont disparu et où les droits se sont substitués aux devoirs.
La morale n'est crédible que si les actes sont conformes aux paroles. « Faire la morale », c'est l'appliquer, c'est faire passer de la théorie à la pratique, de la pensée à l'action. Or, aujourd'hui, la morale se résume à un discours et qui plus est à un discours de donneurs de leçons qui ne se l'appliquent pas à eux-mêmes. Les mêmes qui veulent remettre la morale à l'ordre du jour, sont ceux qui reçoivent des enveloppes en échange de services ou n'hésitent pas à bénéficier trop largement des largesses de chefs d'états peu recommandables ou même des opportunités que leur offrent les fonctions qu'ils occupent... A la morale se sont aujourd'hui substitués les « droits de l'homme » qui ne sont qu'une partie de la morale. Nous y reviendrons.
Jürgen Habermas fait une distinction kantienne entre la morale et l'éthique : la première se rattache aux principes formels, universels et rationnels, la seconde aux principes matériels basés sur la sensibilité individuelle.
L'éthique serait donc un nouveau concept à l'usage des entreprises, de l'Etat, des professions, des médias ou de la recherche scientifique. Kant l'a définie comme un impératif hypothétique alors qu'il considère la morale comme un impératif catégorique.
Explications : l'impératif est hypothétique quand il énonce le moyen nécessaire pour arriver à une fin ; aussi le discours éthique cherche-t-il à énoncer les moyens pour atteindre ce qu'il suppose être la moralité. L'impératif catégorique énonce l'objectif mais ne le subordonne à aucune condition, aucune considération que ce soit l'utilité, l'efficacité ou l'intérêt. Il est exclusivement pratique, c'est à dire proprement moral.
Chez Hegel, l'éthique est ce qui concerne l'organisation des rapports sociaux, par opposition à la moralité qui énonce les principes de l'action individuelle. La réflexion éthique est un consensus autour de valeurs collectivement admises, de critères d'humanité alors que la morale définit des devoirs face à l'humain L'éthique, cette « esthétique de dedans » selon Pierre Reverdy, est donc un ensemble de principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un.
Un mot sur la déontologie pour dire qu'elle est aussi un outil qui nous permet de nous guider dans nos actes. Elle est un ensemble de règles et de devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l'exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients et le public. Un code de déontologie énonce des devoirs et dicte des règles qui obéissent clairement à la Morale. Prenons l'exemple des Codes de déontologie des professionnels de santé : ils se prononcent sur des questions très sensibles (égalité des soins, obligation de soigner...)
Pour autant la déontologie et la morale ne vont pas nécessairement de pair. Ainsi, ce n'est pas parce qu'une chose est possible, qu'elle est permise. Il est possible et cela peut apparaître moral à certains, d'abréger les souffrances d'une personne en fin de vie, mais ce n'est pas permis par le code de déontologie des médecins, ni par la loi. Une coutume, issue d'une pratique ancestrale peut très bien, à un moment donné, devenir illégale alors que son exécution semblait morale à celles et ceux qui la pratiquaient. Au contraire ce n'est pas parce qu'une chose est légale qu'elle est morale ou déontologique. Ainsi, l'avortement est autorisé par la loi, mais d'aucuns trouvent que ce n'est pas moral.
Le droit
Dernier élément nous guidant dans nos actes, le droit tend à organiser les règles d'une société en vue du bien-être et de la pérennité de cette société. En organisant les rapports entre les hommes groupés par des liens sociétaux, il facilite les relations entre les individus en indiquant ce qui est défendu et ce qui est permis.
Puisque le droit est l'objet de la justice, on a tendance à assimiler l'un à l'autre. Or, pour les juristes, le droit est « la règle de droit », c'est à dire une disposition régissant le comportement des hommes en société. La seule règle de droit est celle qui est posée par l'autorité publique ; garantie par elle, elle émane du pouvoir législatif. Les règlements et les moyens de contrainte et les sanctions lorsque les premiers ne sont pas respectés, émanent du pouvoir exécutif. Ajoutons à cela la distinction qui existe entre le droit dit positif qui est la règle édictée par l'autorité, et le droit dit naturel, qui est inscrit dans la nature de l'homme. Une règle de droit est assortie d'une sanction sociale organisée tandis qu'une règle éthique en est dénuée et ne regarde que la conscience.
Alors que la réflexion éthique est une interrogation sur les actes et les abstentions, la déontologie les guide tandis que la morale les gouverne, comme elle gouverne les intentions même si ces dernières restent cachées. Le droit, quant à lui, ne s'intéresse qu'aux actes.
La notion de responsabilité
L'idée de responsabilité est constitutive de la vie en société humaine. Tout système juridique doit faire du caractère volontaire de l'acte une condition de la responsabilité. Pour autant, cela n'a rien à voir avec la question de la culpabilité morale. Ainsi, considérer qu'il est injuste de punir ceux qui n'ont pas « volontairement » enfreint la loi est un principe moral. Mais est-il injuste de punir ceux qui n'ont pas commis volontairement un acte
« moralement répréhensible » interdit par la loi ? Selon un principe moral, seul l'accomplissement d'un acte immoral est légalement punissable et nul ne devrait être sanctionné pour un acte qu'il n'aurait pas pu s'empêcher d'accomplir.
Pourtant, le droit n'est pas identifiable à la morale, ni conditionné par elle. Le droit n'est pas le gendarme de la morale qui ne se limite pas aux acceptions juridiques classiques. Ainsi,
« l'éthique ne considère point comme une justification l'absence de tout dommage. » (Kant, Doctrine de la vertu, § 9).
Notre système juridique guide les choix des individus en leur donnant des raisons de préférer l'obéissance à la loi, tout en les laissant libres de faire le choix contraire.
Le droit n'est pas seulement le garant des intérêts individuels et collectifs, il définit aussi un intérêt sociétal : celui d'une liberté des individus composant une société dans l'affirmation de leurs choix de vie, dans la conduite de leurs activités respectives sans qu'une inquiétude irrationnelle pèse inutilement sur ces choix et ces activités, comme ce serait le cas s'il n'y avait pas de système juridique ou si nous étions à la merci des bêtes sauvages de l'état de nature.
La morale touche au juste et à la justice, c'est-à-dire aux principes universels qu'elle « norme », ce qui permet ainsi une certaine impartialité, tandis que l'éthique se rattache au Bien, c'est-à-dire aux particularités des individus. La justice nous semble être, en fait, une mise en tableau, une hiérarchisation de la morale en fonction de critères, sociaux ou religieux, mais surtout humains et liés à celles et à ceux qui édictent les règles judiciaires.
Un Etat dont les valeurs sont ancrées dans une religion - chrétienne, islamiste, judaïque ou hindoue - édictera des lois inspirées des dogmes de ces religions. Ne sommes-nous pas soumis aux quatre articles du Décalogue qui concernent la politique : tu ne voleras pas, tu ne désireras pas injustement le bien d'autrui, tu n'assassineras pas, tu ne mentiras pas.
Ainsi, à propos de l'universalité des valeurs, si les impératifs catégoriques de Kant et les quatre commandements du Décalogue semblent appartenir au fondement même de l'humanité, que penser du « droit de l'hommisme », cette nouvelle religion occidentale plaisamment dénoncée par Régis Debray dans « Le Moment Fraternité » (Gallimard, 2009), qui imposerait « nos » valeurs au reste du monde et confondrait l'universel et l'uniforme ?
En revanche, si les seules valeurs humanistes, donc morales, guident les rédacteurs de la loi, celle-ci aura une valeur plus universelle. Cela serait le cas si les lois étaient basées sur le précepte de Rousseau selon lequel, « la morale pour un individu consiste à tracer nettement les limites dans lesquelles contenir son activité. »
En fait, la morale est officialisée en termes de Loi - loi que les tenants du pouvoir ont longtemps qualifiée de « divine » afin d'imposer son respect par tous les membres de la communauté - tout en lui adjoignant les sanctions utiles.
C'est ainsi que la justice ne fait qu'appliquer des sanctions aux fautifs, de façon impersonnelle et objective aux yeux de tous les membres de cette communauté. Ainsi cette morale devient l'instrument de leur identité communautaire.
Le châtiment contre la tentation
Or, c'est l'État qui décide et qui se borne à placer, à côté de chaque tentation propre à nous entraîner vers l'injustice, un motif plus fort encore, propre à nous en détourner ; et ce second motif, c'est un châtiment inévitable.
La morale et le droit étant les deux seules disciplines imposant aux hommes des règles de conduite, la morale n'est-elle pas suffisante ? Est-il nécessaire d'avoir, à côté de la règle morale, une règle de droit ? Oui, car la règle morale ne peut à elle seule, gouverner une société. Car elle n'entraîne qu'une sanction d'ordre intérieur qui, malheureusement, n'est pas de nature à effrayer beaucoup de personnes, à les empêcher d'enfreindre la règle ; on sait bien comment chacun peut s'arranger avec sa conscience. La règle de droit doit alors créer une sanction plus efficace qui, elle, contraindra matériellement les individus à ne pas faire ce qui est défendu.
Ne pourrait-on pas alors plus simplement ajouter à la règle de morale une sanction juridique et faire ainsi respecter, par la contrainte, la règle de morale ? Impossible, car la règle de morale est d'une nature trop haute pour gouverner la société : la règle de morale a pour but de nous dire ce qui est juste, et aussi ce qui doit être fait par chacun de nous au-delà de la justice, sur le terrain de la charité par exemple, tandis que la règle de droit a pour objectif à la fois d'obliger à respecter ce qui est juste et de donner la sécurité dont les hommes ont besoin pour vivre en société. Car si nous pouvons parfois tolérer des lois que nous estimons injustes dans la mesure où nous connaissons les conséquences de leur non respect, nous ne pouvons pas vivre dans l'insécurité.
Le droit regroupe les devoirs exigibles, ceux dont la violation est directement nuisible à la communauté. La morale a pour objet ces mêmes devoirs ainsi que d'autres dont la transgression n'est pas censée nuire directement à la société : ce sont les devoirs de tempérance, de bienfaisance, de piété. Le droit se préoccupe surtout des résultats extérieurs que la violation du devoir entraîne tandis que la morale s'intéresse à ce que cette violation dénote.
« Pour être un honnête homme devant le code, il suffit de posséder, à un degré ordinaire, une seule qualité, la justice ; pour être un honnête homme devant la conscience, il faut posséder la justice dans sa plénitude et avec elle plusieurs autres vertus. » (Martin Ferraz, « Philosophie du devoir ou principes fondamentaux de la morale » Didier éditeur, Paris 1869)
Si l'étude du droit peut donner au moraliste le sens des réalités qui peut lui faire parfois défaut, l'étude de la morale est très propre à donner au juriste plus d'élévation, à lui ouvrir d'autres horizons. Ainsi, le droit romain qui condamna l'esclavage puis les combats de gladiateurs est une application de la morale stoïcienne. Nourris aux doctrines de Zénon, les grands jurisconsultes romains firent pénétrer dans les lois de leur temps plus de justice et d'humanité.
Les codes qui nous régissent aujourd'hui ne sont que l'application des grands principes de la philosophie moderne aux rapports des citoyens entre eux. Pour Cicéron : « C'est dans les entrailles de la philosophie qu'il faut aller puiser la science du droit ».
Morale ouverte ou close
En matière de justice et de morale Bergson considère que rien n'est plus efficace que les obligations que l'on s'impose à soi-même, sans passer par un tiers, en l'occurrence, l'Etat, la société. La morale est donc un système d'obligations solidaires, des impératifs impersonnels qui s'imposent à l'individu de manière absolue et indiscutable. Celui-ci ajuste alors son comportement sur l'ensemble des lois de la société dont il est membre. Il se créé un ensemble d'habitudes morales qui forment ce que Bergson nomme la morale close.
Mais cette morale peut aussi se présenter sous un tout autre visage ; celui de l'imitation de personnes, perçues comme des modèles où s'incarnent de multiples valeurs. C'est ce que Bergson appelle « la morale ouverte ».
Dans le cas de la morale ouverte, la justice privilégie « l'incommensurabilité de la personne et l'affirmation de ses droits inviolables ». Dans cette justice des droits de l'homme dont parle Bergson, la règle est le respect absolu de l'humanité présente en chaque personne.
Dans la morale close, la justice affirme surtout les idées d'égalité et de mesure sur lesquelles elle se fonde. Elle tendra ainsi à appliquer aux relations entre personnes ainsi qu'aux rapports entre les individus et l'Etat, l'égalité stricte qui s'impose dans les échanges d'objets et exigera un dommage équivalent à celui causé : c'est la loi du Talion, œil pour œil, dent pour dent. La société mesurera la peine à l'aune de la gravité de l'offense ; c'est pourquoi la justice se reconnait dans le symbole de la balance.
C'est aussi la théorie défendue par Nietzsche d'après qui la justice est basée sur le principe selon lequel les hommes ayant commis des fautes peuvent « se racheter » en payant un prix qui marque le « pardon ». Le coupable doit être exclu momentanément de la collectivité et déchut de ses droits citoyens, ce qui doit être la pire punition. C'est également ce que démontre Schopenhauer pour qui l'Etat ne nous interdit pas de nourrir contre quiconque des projets criminels pourvu que la peur de la punition nous retienne de passer à l'exécution. Il organise, face à chaque tentation possible, un motif propre à nous en détourner : un châtiment inévitable.
« Plus il y a de normes, moins leur valeur sacrée s'impose »
Pourtant, la peur du gendarme n'effraie que ceux qui, a priori, ne seront jamais concernés. Mais les autres ? Un avocat, Pierre-Olivier Sur, écrivait en 2008 dans l'Express qu'il y a aujourd'hui
« un empilement de textes où l'esprit des lois se caractérise par une quantité et non une qualité.» « Voilà l'inflation législative et son effet pervers de banalisation de la violation de l'interdit. Plus il y a de normes, moins leur valeur sacrée s'impose et moins on est censé ne pas ignorer la loi » estime-t-il. La justice -et à travers elle la morale- serait donc bafouée parce qu'elle serait trop prolifique en textes.
Les magistrats tentent aujourd'hui de redorer le blason de cette justice -et à travers elle de la morale. Pierre-Olivier Sur : « Comment de Gaulle finançait-il ses campagnes électorales il y a quarante ans ; comment le petit patron concevait-il l'interdit des abus de biens sociaux il y a trente ans ; comment les tournois de pétanque (donc de foot) étaient-ils truqués il y a vingt ans à Marseille ; comment l'État favorisait-il les comptes off-shores il y a dix ans à Monaco, en Andorre, en Suisse, au Luxembourg, aux Iles Anglo-normandes, aux Antilles ; et comment la France vend-t-elle des armes depuis toujours ? » Actuellement, ces délits ont été rendus répréhensibles. Un zeste de morale a été instillé dans les règles judiciaires anciennes. Comme ce fut le cas avec le principe selon lequel des peines peuvent être écourtées pour les vieillards ou les personnes incarcérées et gravement malades.
En forme de conclusion : nos propositions
Les Humanistes qui ont pour préoccupation le développement des qualités essentielles de l'Homme, ont pour principe de rechercher la vérité, d'étudier la morale et de construire une humanité meilleure et plus éclairée.
Ils défendent des principes d'égalité : pour différentes raisons on sait que nous ne sommes pas tous égaux devant la justice. Lafontaine l'avait bien compris lorsqu'il écrivit vers 1678 ; dans la première fable du livre VII de ses Fables, Les animaux malades de la peste : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Instiller davantage de morale dans la justice doit permettre de parvenir en partie à ces objectifs en édictant des règles judiciaires basées sur la seule chose commune à tous les hommes : le principe d'humanité.
« Certains sont sujets, à l'illusion qui consiste à faire intervenir, le bonheur dans les jugements humains, quand il n'est question que de principes de droit » nous disait Emmanuel Kant. Sans dire que la justice doit être plus humaine, elle doit être plus humaniste. L'erreur étant humaine, la justice doit-elle l'être elle aussi ? Assurément non, mais plus morale, certainement.
Aussi, proposons-nous un certain nombre de fondamentaux qui nous semblent indispensables pour une justice plus humaniste.
La justice doit protéger les citoyens. C'est sa première mission. Beaucoup la considèrent souvent comme un engrenage qui peut les broyer. Cela implique également une justice mieux comprise, plus transparente et rendue dans des délais plus courts. Souvenons-nous de ce qu'écrivait Montaigne. « La justice qui nous régit est un vrai témoignage de l'humaine faiblesse » nous dit-il dans Les Essais (III, 13, 1665). « J'en suis au même point qu'Alcibiade : je ne me présenterai jamais, si c'est en mon pouvoir, devant quelqu'un qui ait pouvoir de décider de ma vie, quand mon honneur et ma vie dépendent de l'habileté et du zèle de mon défenseur plus que de mon innocence » ajoute-t-il.
La justice doit respecter les citoyens qu'ils soient victimes bien sûr mais aussi présumés coupables. Elle doit être plus protectrice face aux discriminations et, par exemple, lutter contre le délit de facies dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens.
La justice doit être impartiale, efficace, accessible et indépendante.
- Impartiale : l'article 6 de notre déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen affirme que la loi doit être la même pour tous et que l'accès des citoyens aux dignités, places et emplois publics doit s'effectuer « selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Cette impartialité garantie par l'indépendance de tous les magistrats s'impose dans l'élaboration des règles ainsi que dans le fonctionnement des institutions, et le choix des responsables.
- Efficace : la justice n'est efficace que lorsque la sanction est considérée comme juste. Or, les « peines-plancher » vont à l'encontre de ce principe. Revenons à l'individualisation de la peine. De même, toutes les peines doivent être effectuées. Si elles ne le sont pas, l'effet dissuasif s'en trouve minimisé et le risque de récidive multiplié. Plus les sanctions seront comprises par le plus grand nombre, plus le respect de la loi sera assuré.
- Accessible : il faut faciliter l'accès à la justice de proximité pour tous les litiges qui portent sur des aspects essentiels de la vie quotidienne.
- Indépendante :
o Réformer le Conseil supérieur de la magistrature. Son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique doit être renforcée en faisant attention que sa composition, le mode de désignation de ses membres, ainsi que leurs statuts lui permettent de veiller, indépendamment du pouvoir politique en place, au respect de l'indépendance et de l'impartialité de la justice. Ce conseil propose les nominations à des postes du siège comme du parquet, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisqu'il donne un avis, favorable ou défavorable, aux propositions du ministre, lequel peut s'en affranchir. Idem pour les procureurs dont la nomination devrait être confiée à un organisme indépendant du pouvoir.
o Confier la mise en œuvre de la politique pénale aux parquets. Si le gouvernement doit bien évidemment conserver le pouvoir de déterminer, après un débat parlementaire, la politique pénale, sa mise en œuvre doit relever exclusivement des parquets qui ne devront plus recevoir d'instruction individuelle.
o Affirmer le principe du juge naturel. Le principe du « juge naturel » - selon lequel le juge ne peut pas choisir ses dossiers, ni le pouvoir ou le justiciable choisir leur juge - doit être entériné interdisant ainsi les désignations de magistrats orientés en fonction de leur appétence au pouvoir.
Lutter contre une justice de circonstance qui multiplie les lois. Le pouvoir devrait pouvoir s'émanciper de la pression de l'opinion publique. Or, l'état de droit s'adapte en permanence face à une communication triomphante et le politique instrumentalise le droit. Montesquieu critiquait « ces lois inutiles qui affaiblissent les lois nécessaires. » C'était au 18e siècle. Au début du 21e les exemples de lois votées sous la pression de l'opinion publique montrent que la leçon de l'auteur de L'Esprit des Lois n'a pas été retenue.
Ainsi, après les tueries de Toulouse et de Montauban Nicolas Sarkozy propose une loi pour punir l'accès aux sites Internet terroristes.
En février 2008, une loi est votée pour rendre obligatoire la tenue d'un procès même en cas d'irresponsabilité de l'accusé suite à l'assassinat de deux aides-soignantes par un déséquilibré.
En mars 2010, suite au viol et au meurtre d'une joggeuse par un récidiviste, une loi soumet à la castration chimique les auteurs de viol.
En mars 2011, suite au meurtre d'un couple de retraités, une loi aggrave les sanctions pénales pour les auteurs d'agression contre les personnes vulnérables.
En juillet 2011, le Parlement adopte une loi mettant en place des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels pour durcir les sanctions suite à la remise en liberté sous contrôle judiciaire d'un braqueur présumé.
En mars 2011, suite au meurtre d'un agent de police par un activiste de l'ETA un an plus tôt, une loi est votée. Elle étend la perpétuité incompressible aux meurtriers d'agents dépositaires de l'autorité publique et les déchoient de la nationalité française s'il est d'origine étrangère.
Pourtant, en 2006, le Conseil d'Etat avait propose une loi supplémentaire qui rendrait obligatoire avant le vote de tout nouveau texte une évaluation de ce qui existe déjà, un bilan coût-avantage de la réforme envisagée.
Se concentrer sur les grandes organisations criminelles. Cette multiplication des lois a une autre conséquence. Elle accroit les possibilités pour les justiciables de se retrouver devant les tribunaux. Ceux-ci, qui croulent déjà sous les affaires de petite délinquance risquent donc d'être davantage engorgés. Ils doivent donc pouvoir se concentrer sur la lutte contre les grands trafics, les organisations criminelles, le terrorisme. Notre justice gagnera en efficacité si les audiences étaient réservées à certains dossiers dont l'importance touche à certains fondamentaux : sécurité des citoyens, de l'Etat...
Développer la prévention de la criminalité : c'est le rôle de l'éducation et c'est aussi une prévention de la récidive. Cela passe, entre autres, par la modernisation des prisons pour respecter la dignité humaine et par l'aménagement des peines pour mieux préparer la réinsertion des personnes détenues.
Une fois ces principes posés et en sachant que l'image républicaine associe spontanément justice et morale, nous devons maintenant nous poser la question de savoir si la République et l'Education qu'elle donne sont encore capables de produire une morale,
fondement de la justice ?
Franck Gougeon
Juillet 2012