Parlant de son expérience de la vie, Evry Schatzman[1] avoue que la sensibilité lui a souvent permis de voir juste, alors que la raison le trompait parce que s’appuyant sur des données incomplètes ou faussement objectives.
Son père ayant été arrêté et déporté en décembre 1941, il a réfléchi à la « bête immonde » : elle n’est pas sortie du néant, dit-il. C’est dans un certain dérangement social qu’il faut en chercher les causes. Il y a des lois de la société, comme il y a des lois de la nature.
Par la suite, ayant découvert ce qui se passait en Union Soviétique, il reconnaissait l’imposture d’une théorie sociale qui voulait se présenter comme une vérité scientifique. Et en raison de son activité dans le parti communiste, il eut l’impression d’avoir participé à la machine infernale. Désenchanté, il ne lui restait que la science, ce mouvement qui a prolongé l’évolution biologique par l’évolution de l’outil. L’activité scientifique a pris une telle importance dans la vie de notre société, dit-il, qu’il est absurde que si peu de gens aient une idée juste de ce qu’elle est. Car elle est un élément essentiel de la culture, au point que l’exercice de la démocratie exige la diffusion d’une culture scientifique. Mais « les certitudes qu’apportent les sciences de la nature ne se retrouvent pas dans les sciences de l’homme et de la société ». L’organisme social, dans sa complexité reste imprédictible.
Schatzman passa la guerre caché sous un faux nom à l’observatoire de Haute Provence. Après la Guerre, devenu un éminent professeur chercheur, il décida de faire connaître la science à ses concitoyens par des conférences de vulgarisation. Il fait remarquer que la recherche scientifique, en France, subit des fluctuations liées à une certaine désaffection des politiques. Certains ont même préconisé la dissolution du CNRS. Il observe qu’une large fraction de la classe politique ignore le monde de la science, ou le déteste. Ils demandent : à quoi ça sert ? Question absurde et impardonnable. De l’époque de la science triomphante et utopique, nous sommes revenus à ce monde décrit par H. G. Wells dans « Men like Gods ». Un mouvement antiscience se déploie, qui désigne les découvertes scientifiques comme responsables de leurs applications techniques dangereuses.