AVEC LE MOTAZILISME
Les historiens du Moyen-âge reconnaissent que c'est dans la civilisation arabe que s'exprimait la science la plus avancée du monde entre le IX°s et le XIV°s. Leurs savants étaient alors les premiers à confectionner des livres avec des feuilles en papier, remplaçant les anciens rouleaux de papyrus. Cette avancée technologique servit à accélérer la circulation du savoir dans le vaste empire arabe Abbasside (750-1258) où jaillirent divers foyers de réflexion, à caractère scientifique, philosophique et religieux.
Genèse du bouillonnement culturel arabe à partir du IX°s
L'invention de l'alphabet arabe date de l'an 500. Elle eut lieu en Syrie grâce à des missionnaires chrétiens venus évangéliser les territoires situés aux confins de l'empire byzantin, et dont l'ensemble des habitants peuplant la zone désertique couvrant le nord de l'Egypte, le nord de l'Arabie, le sud de la Syrie jusqu'au sud de l'Irak, étaient désignés sous le vocable de "Arabes". Ces missionnaires, dans le souci de bien faire comprendre le message de l'Evangile à ces populations usant de dialectes comportant des racines sémitiques et araméennes communes, leur créèrent une écriture inspirée de l'Hébreu d'origine araméenne. C'est ainsi que la première écriture arabe put être transmise aux Bédouins de La Mecque en 575, grâce à son puits Zemzem qui servait à abreuver les caravanes en provenance du 1er royaume se déclarant Arabe, créé au sud de l'Irak. Ces caravanes transportaient encens, parfums et épices de provenance de Perse et d'Inde, à destination d'Alexandrie qui était l'un des grands ports méditerranéens de l'empire byzantin.
Mais alors, comment se fait-il qu'en moins de 2 siècles a pu se produire cette formidable éclosion culturelle dans le monde arabe ?
Le Prophète n'ayant pas laissé de testament écrit à sa mort en 632, le 3ème Calife Othman qui lui succéda de 644 à 656, ordonna de recueillir par écrit les paroles d'Allah que son Messager leur avait retransmises par oral entre 612 et 632. Et ce livre fut nommé CORAN, c.à.d récitation de ce que le Prophète leur avait communiqué. Et il fut alors écrit en arabe, seule écriture à la disposition des Bédouins du Hedjaz qui n'avaient pas d'écriture propre à eux. C'est ainsi que le Coran fut rédigé en Arabe et que cette langue arabe devint la langue officielle des prières quotidiennes et, partant, de l'administration publique de l'empire Omeyyade (661-750) puis Abbasside (750-1258), jusqu'à ce que la Madrasa, créée au milieu du XI°s, ne généralise l'usage de la langue arabe à l'ensemble de la civilisation dite arabe, comme ce fut le cas pour l'usage du Latin au Moyen âge européen par le canal des Saintes Ecritures.
D'autre part, la dynastie Omeyyade (661-750) ayant conquis l'Egypte, elle put avoir accès à tous les ouvrages de la prestigieuse Bibliothèque d'Alexandrie. Cela permit aux cadres de son administration publique de s'instruire et d'échanger avec les cadres de culture grecque qui administraient l'empire byzantin voisin, dont l'empire Omeyyade avait annexé une grande partie des territoires situés au Levant et au nord de l'Afrique. Pour que ces échanges soient fructueux, les cadres Arabes de l'Empire Omeyyade durent acquérir tout le savoir de l'antiquité grecque à dominante philosophique, et, chemin faisant, les autres savoirs existants à la Bibliothèque d'Alexandrie, persan, syriaque et indien, plutôt orientés sur la technique.
Dans un premier temps, des interprètes leur traduisirent tous ces savoirs en langue arabe, devenue l'unique langue du Coran. Parmi ces savoirs, se trouvaient notamment les ouvrages des Anciens Grecs, comme le mathématicien Euclide, le physicien Archimède, le géographe Ptolémée, le médecin Galien, l'alchimiste Hermès Trismégiste, le philosophe Aristote, …etc. Puis, il y eut un siècle et demi de maturation de ces traductions dans la pensée des nouveaux savants arabes qui purent alors enrichir les théories des "Anciens" Grecs en créant de nouvelles disciplines scientifiques, comme l'algèbre, l'optique, la trigonométrie sans omettre l'alchimie (Al Kimia) qui incluait certains procédés annonçant la chimie.
En outre, une importante contribution méthodologique des savants arabes à l'histoire des sciences, consista à y apporter leur souci utilitaire qui amena leurs inventions à viser la satisfaction des besoins des usagers. Cette association de la vision pratique et concrète des nouveaux savants Arabes et de la pure réflexion théorique des "Anciens" Grecs, permettra à la Science de réaliser beaucoup de progrès entre le IX°s et le XIV°s au sein même de la civilisation arabo-musulmane. Puis, la transmission de ces savoirs arabes aux Chrétiens d'obédience romaine par l'intermédiaire des Croisades (1092-1270) en Terre Sainte et des échanges culturels avec le royaume arabe d'Andalousie, permit à la pensée d'Europe occidentale de redécouvrir la philosophie grecque après sa longue éclipse depuis la chute de l'empire romain d'Occident au V°s face aux "invasions barbares". C'est ce qui donnera, plus tard, naissance à l'Humanisme qui replaça la recherche du bonheur humain au centre de tout, pour ensuite déboucher sur la Renaissance aux XVI°s/ XVII°s et sur le Siècle des Lumières au XVIII°s.
Mais comment "les Lumières" purent-elles jaillir dans le Monde arabe au I X°s ?
Par "Lumières", il faut entendre la recherche de la vérité par le raisonnement libre, fondé sur l'observation scientifique des choses ou l'analyse objective des idées philosophiques, sans inféodation à des préjugés idéologiques ni à une doctrine métaphysique ou à tout dogme transcendant d'une religion.
Et si la jeune science arabe connut des progrès fulgurants du IX°s au XII°s, c'est que le frein idéologique des Ulémas et des Imams dogmatiques ne commença à agir progressivement qu'à partir de la fin du XI°s avec la création par les Turcs Seldjoukides de la Madrassa (école publique dirigée par un religieux musulman, en l'occurrence sunnite refusant la logique rationaliste Motazilite) qui servit de vecteur de diffusion généralisée dans le monde musulman de la doctrine sunnite d'El Ghazali. En même temps, les Ulémas et Imams retirèrent des programmes d'enseignement des Madrasas la philosophie rationaliste de type aristotélicien ainsi que la doctrine théologique et éclairante des Motazilites. Cette orientation pédagogique finit par conditionner, dans les siècles suivants, l'évanouissement de l'esprit critique et donc du progrès dans la recherche scientifique et philosophique dans le monde arabe.
Il faut savoir qu'avant la mainmise militaire des Turcs Seldjoukides sur les institutions du monde arabo-musulman, les Ulémas acceptaient de considérer les écoles de pensée philosophique grecque, de nature profane et à caractère dialectique et critique, comme relevant des savoirs des "Anciens", antérieurs à l'exégèse du Coran qui n'a été révélé par Allah à son Messager Mohammed qu'au VII°s. Ce discernement méthodologique fut défendu par les Motazilites sous la dynastie Abbasside aux VIII°s/ XI°s, jusqu'à l'intervention des Turcs Seldjoukides qui voulurent soumettre le monde arabe à travers un pouvoir théocratique sunnite et dogmatique empêchant toute critique philosophique et toute contestation politique.
Que professait donc le Motazilisme pour être écarté par le pouvoir Turc ?
Les Motazilites s'étaient intéressés au début aux attaques que subissait l'islam de la part des non-musulmans, notamment les philosophes grecs de l'empire byzantin voisin qui reprochaient à la théologie islamique un manque de discernement et de logique. C'est alors que l'École péripatétique grecque eut des émules parmi des lettrés arabes, surnommés les Motazilites, qui durent élaborer une démonstration philosophique pour conforter le bien-fondé de leur foi religieuse en Islam. Et comme ils utilisèrent une méthodologie fondée sur la dialectique gréco-byzantine faisant usage de longues discussions alliant l'usage de la parole et le dialogue, ils furent surnommés les « mutakallamin », c.à.d faisant long usage de la parole (Kalam) dans des discussions interminables (NB= aujourd'hui, nous dirions "querelles byzantines" ).
Au cours de leurs interminables débats sur la philosophie religieuse de l'Islam, diverses interprétations alimentaient leurs discussions sur les questions pratiques que se pose tout homme rationnel, comme, par exemple, si le Coran est créé comme la Bible et les Evangiles ou s'il est incréé par Dieu lui-même; si le mal peut être créé par Dieu ou s'il est le fait de l'homme tout seul; de même que sur la relation entre la prédestination (Mektoub) et le libre arbitre de l'homme (qadar); si les attributs de Dieu dans le Coran doivent être interprétés allégoriquement ou littéralement; si ceux qui sont dans le péché auront une punition éternelle en enfer …etc. Au terme d'un siècle de discussions philosophiques sur le bien fondé rationnel de l'Islam face à la rhétorique aristotélicienne, la doctrine Motazilite a pu définir 5 principes:
Le monothéisme (Al Tawhid) : le concept de Dieu dépasse les capacités de l'esprit humain. Ainsi, les versets du Coran décrivant Dieu assis sur un trône ne peuvent être qu'allégoriques. Et les Motazilites traitèrent-ils leurs opposants d' « anthropomorphistes ». Et, à partir de ce détail, ils déduisent rationnellement que le Coran n’est pas incréé mais créé: il n'est donc pas intouchable et doit donc s’adapter aux temps.
La justice divine (Al Adl) : devant le problème de l'existence du mal dans un monde où Dieu est tout-puissant, les motazilites mettent en avant le libre arbitre des êtres humains, c.à.d que le mal est le fait des erreurs humaines. Pour un Motazilite, Dieu est parfait et ne peut donc pas faire le mal ni demander aux hommes de le faire. Et en raisonnant par l'absurde, les Motazilites avancent que si les actes maléfiques de l'homme provenaient de la volonté de Dieu, alors la notion de punition perdrait son sens, car cela signifierait que l'homme ne ferait que suivre la volonté divine quels que soient ses actes. De la sorte, le Motazilisme rejette la prédestination et le « mektoub ».
Promesse et menace (al-Wa'ad wa al-Wa'id) : ce principe regroupe les questions sur le dernier jour de la vie d'un homme et sur le jour du jugement dernier, où Dieu récompensera ceux qui lui ont obéi par leur accueil au paradis céleste, et punira ceux qui lui ont désobéi par leur damnation aux feux de l'enfer.
Le degré intermédiaire (al-manzilatu bayn al-manzilatayn) : ce principe, qui a été le premier à distinguer les mutazilites, affirme que le musulman qui commet un grand péché (meurtre, vol, fornication, fausse accusation de fornication, consommation d'alcool, …etc.) ne doit être considéré ici-bas, ni comme Musulman (comme le pensent les Sunnites), ni comme mécréant ou kâfir ( comme pensent les khâridjites), mais plutôt dans un degré intermédiaire entre ces deux interprétations. Cependant, ils rejoignent les kharidjites en affirmant qu’une telle personne sera condamnée à l’enfer.
Ordonner le bien et blâmer le blâmable (al-amr bil ma'ruf wa al-nahy 'an al munkar) : ce principe permet la rébellion contre l'autorité, si l'autorité est injuste, comme un moyen d'empêcher le mal. Cela déplut aux Ulémas et Imams conservateurs qui trouvèrent en cette doctrine un moyen d’infirmer leur pouvoir religieux sur les Fidèles.
Cette théologie rationaliste séduisit les classes éduquées qui dirigeaient la bureaucratie de l'empire Abbasside de l'époque. C'est ainsi que le Calife Al'Maamoun du puissant empire Abbasside fit du Motazilisme la doctrine officielle en 827, créant la "Maison de la sagesse" (Beyt-el-Hikmat) en 832 pour répandre l'exercice de la philosophie rationaliste aristotélicienne dans les consciences. Ne déclarait-il pas lui-même que si le Coran était son livre de chevet pour ses prières, son maître à penser était Aristote!
Cependant, le Motazilisme n'a pas pu gagner l'adhésion des masses populaires, non seulement du fait de l'opposition des Ulémas et Imams conservateurs, soucieux de préserver leur autorité religieuse et morale sur leurs Fidèles, mais encore du fait de la nature élitiste de cette doctrine, dont le raisonnement philosophique élevé dépassait leur niveau d'intelligence, habitué à la soumission totale à la volonté d'Allah. Aussi, l'impopularité des théologiens Motazilites ne cessera-t-elle de grandir à la suite de son adoption par le pouvoir Abbasside qui chercha à l'imposer par les moyens de coercition aux Ulémas et Imams conservateurs, qui étaient les directeurs de conscience des populations croyantes.
Dans ce cadre historique de tensions entre l'élite intellectuelle du royaume et le peuple illettré endoctriné par les Ulémas et Imams récalcitrants au Motazilisme, il s'est trouvé que le pouvoir bureaucratique des Motazilites sur l'administration et la pensée théologique de l'empire Abbasside, fut Jugé trop rationaliste et méprisant pour les adeptes de la transcendance, de l'incréation et donc du dogmatisme du Coran et des Hadiths du Prophète, donc de sa Tradition ou Sunna.
Aussi, les Motazilites furent-ils attaqués par divers courants conservateurs de l’Islam. Ils furent alors pressés par le débat philosophique avec les autres courants de pensée situés à l'intérieur de l'Islam. C'est ainsi que Abu al-Hasan al-Ash'ari, initialement Motazilite, développa sa propre méthodologie du " Kalâm " pour fonder son école de pensée dite Acharite. A sa suite émergea l'école Maturidite réfutant plusieurs principes Motazilites.
L'Acharisme atteindra sa maturité avec El Ghazali au XI°s et le Maturidisme avec Rhazès au XII°s. Au cours de leur long conflit avec le Motazilisme, l'Acharisme et le Maturidisme se sont mutuellement influencés en évoluant parallèlement pour déboucher finalement sur l'institution définitive par le pouvoir ottoman des 4 ECOLES THEOLOGIQUES SUNNITES.
Ainsi, la forme définitive d'interprétation des textes sacrés de l'Islam sera établie sous l'autorité politique des puissants Turcs Seldjoukides, au milieu du XI°s, qui vont imposer la doctrine sunnite rigoriste du théologien anti-Motazilite, El Ghazali.
Aussi, la recherche scientifique arabe dépérira-t-elle par la suite. Cette chute découle de la condamnation du Motazilisme par le Sunnite Acharite El Ghazali qui fera interdire par le pouvoir politique turc seldjoukide d'enseigner la philosophie dans toutes les Madrasas du monde musulman à partir de la fin XI°s, privant les élèves de l'apprentissage de l'esprit critique, ferment indispensable pour le développement de la recherche scientifique et philosophique.
Ce triomphe du dogmatisme sunnite s'imposa alors à la réflexion des peuples musulmans sous administration ottomane jusqu'en 1920, date où l'empire ottoman s'écroula et où ses territoires arabes furent confiés à la SDN (Société des Nations) qui les plaça sous la tutelle des puissances victorieuses, Grande Bretagne et France.
Genèse de la science arabe alors que le Prophète était illettré au VII°s
L'unicité et l'invisibilité du Dieu de Mahomet, Allah, a son ancrage religieux dans la tradition des régions désertiques que le caravanier Mohammed traversait pour acheminer les cargaisons de sa riche épouse Khadija à Damas. En effet, c'est au cours de ses multiples périples entre l'âge de 20 ans et 42 ans que cet animiste d'origine mecquoise découvrit l'existence du Dieu d'Abraham, de Moïse, de Jésus et des autres Prophètes bibliques dont fait état le Coran qui présente Mohammed comme le Messager de Dieu et le "sceau des Prophètes".
Mais, en raison de son illettrisme, cette ultime révélation de ce Dieu commun, ne fut transmise qu'oralement à son Messager Mohammed, entre 612 et 640. Et il faudra attendre une vingtaine d'années après sa mort pour que le 3ème Calife, Othman (644-656) ordonne de recueillir tous les fragments des prêches du Prophète pour compiler le Coran signifiant la récitation des paroles d'Allah révélées à son Messager Mohammed. Quant à la religion musulmane proprement dite, elle mettra longtemps pour se structurer, notamment en raison des multiples divergences d'interprétation des textes sacrés du Coran et des Hadiths, face aux diverses écoles théologiques qui vont émerger pour donner leur version de la foi islamique sous les dynasties Omeyyade et Abbasside.
A la fin du VI°s où naquit Mahomet, La Mecque était une cité bédouine perdue dans le désert du Hedjaz de l'actuelle Arabie occidentale. A cause de son puits Zemzem, les caravanes commerciales provenant ou à destination du Yémen et d'Oman s'y arrêtaient pour s'approvisionner en eau sur leur voyage pour l'empire romain. D'autre part, en raison de la présence de la grosse Pierre Noire mythique à la Kaaba, considérée le centre du monde et lieu de culte des divinités bédouines de la région, La Mecque était devenue le centre de pèlerinage et de convergence pour toutes ses tribus polythéistes. La seule tradition existante était encore orale, l'écriture arabe n'étant alors qu'en gestation, en attendant son perfectionnement par des Persans convertis à l'Islam au milieu du VII°s, suite aux conquêtes arabes.
L'étonnante expansion territoriale très rapide des guerriers bédouins après la mort du Prophète en 632, au détriment des 2 grands empires voisins, byzantin au Nord-Ouest, et perse à l'Est, s'explique par plusieurs facteurs:
-1/ le droit au partage du butin avec prise en esclavage des vaincus ;
-2/ la solidarité ethnique des tribus Bédouines au combat à l'étranger, décuplée par l'enthousiasme de leur foi en Allah tout-puissant et miséricordieux, qui décide du sort de chacun (Mektoub) tout en lui garantissant de l'accueillir comme martyr au paradis, avec 70 Vierges Houris pour l'éternité;
-3/ les provinces de l'empire byzantin étaient désespérées depuis 2 siècles par la perte du tiers de leur population décimée par la peste et la variole, de même que par les dissensions religieuses assorties d'excommunications et de chasses aux sorcières émanant de l'orthodoxie chrétienne soutenue par le pouvoir byzantin contre tous ceux qui doutaient des dogmes décrétés par divers Conciles contradictoires, de quoi dérouter la foi des humbles Chrétiens;
-3/ la victoire arabe de 641 sur les Perses est facilitée par l'affaiblissement des Sassanides par une guerre interne de succession appuyée sur une âpre opposition entre les partisans du Manichéisme et ceux de l'ancienne religion monothéiste de Zoroastre, alors que l'Islam arriva pour réconcilier tout le monde autour d'une foi simple en un seul Dieu invisible et miséricordieux, décidant du sort de chacun.
Et ce sera sous la dynastie des Omeyyades (661-750) que le premier texte du Coran, jusque-là transmis par voie orale, sera mis par écrit, alors que sa compilation avait été ordonnée par le 3ème Calife Othman (644-656). Cependant, il ne subsiste aucune trace de manuscrit du Coran datant de cette période.
Cependant, il faut savoir que l'Islam était ethnicisé à ses débuts, sous les Omeyyades, au service de leur puissance politique cherchant à afficher leur identité religieuse avec Mohammed, le Messager d'Allah sur Terre, face à l'empire byzantin rival et voisin, s'identifiant au royaume sur Terre de Jésus Christ, Fils de Dieu. C'est ainsi que le Dôme du Rocher fut construit fin VII°s à Jérusalem, ville sainte de l'Islam, pour contrebalancer la splendeur de la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople, avec des versets antitrinitaires du Coran pour témoigner de l'unicité d'Allah, par opposition au crédo chrétien des Conciles de Nicée (325) et de Chalcédoine (451).
Cette ethnicisation de l'Islam d'avant les Abbassides, consistait à n'accueillir un étranger dans l'Islam qu'après son acceptation dans une tribu bédouine d'Arabie qui lui donnait alors le titre de "membre rattaché" ou "mawlâ". Puis, grâce au rationalisme des Motazilites, les Abbassides levèrent cette ségrégation ethnique en contradiction avec l'impératif religieux de l'Islam consacrant la « Oumma Islamiyya ».
Et c'est alors, avec l'élite motazilite que l'Islam, devenu lettré et mis en page, pratiqua la dialectique aristotélicienne pour construire son juridisme et sa théologie qui fut rationaliste au départ, avant d'aboutir au dogmatisme sunnite se réclamant de documents datant du IX°s (soit un siècle et demi après la mort du Prophète ! ) et faisant état de "la voie" et de "la Tradition" du Prophète, dont les données avaient été compilées à partir de témoignages prêtés à ses Compagnons dans son exil ou "Hégire" à Médine de 622 à 630. Cette théologie sunnite, beaucoup plus facile à comprendre que la théologie élitiste des philosophes Motazilites, à structure dialectique et aristotélicienne, était à la portée des populations peu lettrées et converties en masse dans les villes de l'empire Abbasside, qui avaient besoin d'un modèle concret de vie à suivre, ce que les théologiens sunnites leur ont fourni en leur présentant le passé vécu au temps du Prophète, reconnu comme le Messager d'Allah et son dernier Prophète.
Il faut notamment savoir que c'est pour la première fois dans l'Histoire que des savants, de toutes origines ethniques et de 17 écoles de pensée différentes, furent réunis et hébergés à Bagdad en 827 au palais de la "Maison de la Sagesse" (Beyt el Hikmat), pour travailler ensemble et faire progresser la connaissance de l'humanité. Cela eut lieu sur invitation du Calife abbasside, Al Ma'amun (813-833) dont le geste précède de 6 siècles la création au XV°s de "l'Académie de Florence" par Cosme de Médicis dit "L'Ancien"(dont l'autorisation papale lui avait été accordée en reconnaissance de son financement à grands frais du concile spécial tenu à Pise en 1438 entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe venue solliciter son aide pour la défendre contre les agressions des Turcs à Constantinople) qui cherchait à redécouvrir les doctrines des penseurs grecs de l'Antiquité, jusque-là proscrites par l'Eglise parce qu'elles n'étaient pas chrétiennes.
Cette expérience d'humanisme universel du Calife Al Ma'amoun se renouvela une seule fois dans le monde musulman, en 1394 à Samarkand, par le petit-fils de Tamerlan, le prince Ulugh Beg, lui-même savant astronome et mathématicien. Cependant, devenu Sultan timouride de la Transoxiane, son règne fut éphémère parce que mort assassiné par son frère qui lui succéda sans poursuivre son projet philosophique.
Il y a lieu ici de remarquer que ces 2 extrémités, géographique et temporelle, de la créativité scientifique arabo-musulmane, montrent qu'elle était migrante au cours des siècles de l'Islam des Lumières. Elle se manifestait au gré des goûts des divers souverains qui gouvernaient séparément les diverses principautés de l'immense espace musulman s'étendant de la frontière chinoise à l'Espagne arabe, en passant par l'Iran, l'Irak, l'Asie centrale, le Proche-Orient, l'Anatolie, le Maghreb et l'Andalousie.
En ce qui concerne l'apport des Arabes dans le domaine des sciences, il faut supposer que l'orientation des recherches des penseurs sous les dynasties Omeyyade (656-750) puis Abbasside (750-1258), fut d'abord de puiser la connaissance philosophique et scientifique là où elle se trouvait, dans l'empire byzantin voisin. Justement, c'est là que le grand empereur Justinien (527-565) avait établi pour son immense empire une prestigieuse législation (connue sous le nom de "Code Justinien") qui suscitait l'admiration de tous à cette époque-là, et ce succès était illustré par la construction de la basilique de Sainte-Sophie à Constantinople, capitale de l'empire romain d'Orient, ce qui va pousser les califes Omeyyades à édifier en 691, à Jérusalem, le 1er monument de l’architecture musulmane, le Dôme du Rocher, intégrant des apports gréco-romains de l’empire byzantin à l'Ouest et des apports architecturaux de l’ancien empire sassanide situé à l'Est et conquis par les Omeyyades depuis 632.
Aussi, le prestige de l'empire byzantin demeurait vivace aux yeux des gouvernants Omeyyades qui avaient noué des relations d'échanges avec son intelligentsia de culture grecque qui brillait par sa réflexion philosophique rationaliste et dialectique. Et il faut savoir, à ce propos, que les penseurs byzantins de langue grecque ne subissaient guère de restriction spirituelle de la part du Patriarche de Constantinople qui ne les empêchait point de continuer à étudier les philosophies des Anciens de l'Antiquité grecque d'avant J-C (ceci, pour mémoire des exactions qui seront entreprises par la papauté romaine devenue catholique en 1054 en excommuniant les chrétiens Grecs dits orthodoxes, ce qui l'amènera à prohiber la lecture des ouvrages de l'Antiquité grecque en Europe occidentale où elle poussera la Sainte Inquisition à condamner à être brûlés vifs tous les contrevenants jugés alors comme impurs, donc hérétiques).
Et comme cette élite philosophique de culture grecque administrait bien l'empire byzantin voisin du leur, des Califes des dynasties bédouines Omeyyades et Abbassides jugèrent utile d'avoir recours aux ouvrages des Anciens Grecs, disponibles dans la plus grande bibliothèque de l'époque à Alexandrie, devenue facile d'accès depuis que l'Egypte avait été prise par la conquête arabe au tout début du VIII°s, sous la dynastie Omeyyade. C'est là que les penseurs arabes eurent accès aux ouvrages des philosophes de l'Antiquité grecque, dont ils traduisirent les textes du grec en arabe, notamment les écrits d'Aristote (philosophie), d'Euclide (mathématiques), d'Archimède (physique), de Ptolémée (géographie) ou de Galien (médecine), …etc.
Les savants arabes eurent le mérite d'enrichir tous ces savoirs de l'Antiquité grecque avec d'autres savoirs venus d'Inde, des Syriaques de l'Antiquité syrienne et mésopotamienne, et de l'Antiquité persane, tous qualifiés d'Anciens, et qu'ils avaient acquis au cours de la conquête arabe du Moyen-Orient dès la fin VII°s.
L'accumulation de toutes ces connaissances puisées dans les savoirs des Anciens leur permit d'enrichir la langue arabe naissante tout en actualisant les sciences connues à cette époque. Et ils allèrent plus loin dans leurs recherches en créant de nouvelles disciplines comme l'Algèbre, l'optique, la Trigonométrie et l'Alchimie.
En outre, le principal apport conceptuel des savants arabes réside dans leur vision concrète de la science qu'ils destinent à l'utilité sociale au lieu de rester des modèles purement théoriques. Ils exploitèrent la science dans leurs inventions pratiques grâce à leur préoccupation utilitaire, répondant aux besoins de leur nouvelle société au temps des Omeyyades/Abbassides, devenue ouverte sur un vaste empire, à la différence de ce que leurs ancêtres Bédouins vivaient isolés en Arabie occidentale et dans le grand désert du Hedjaz. Ils ont ainsi créé une nouvelle tradition scientifique, à caractère utilitaire, qui servira de tremplin pour les progrès techniques de l'avenir de l'humanité.
C'est ainsi que les mathématiques et l'astronomie (les 2 disciplines phares du développement scientifique réalisé par les savants musulmans) comportèrent désormais, à la fois, la réflexion méthodologique pure et la préoccupation utilitaire et d'usage pratique des inventions par les populations. Par exemple, leurs recherches en sciences mathématiques profiteront à l'astronomie, qui se développera grâce à leurs nouvelles méthodes d'approximation des chiffres infiniment grands qui serviront notamment à localiser les villes et les sites à travers leur vaste empire; de même, leur invention de la trigonométrie servira à régler les heures de prière quotidienne et à trouver la direction de La Mecque (qibla); ou encore, leurs recherches en trigonométrie serviront à définir la position des planètes en astrologie, science qui prédisait l'avenir malgré les réticences religieuses des Oulémas pour qui Allah seul est maître du temps, du passé comme de l'avenir.
Ce souci de l'utilité sociale de la recherche scientifique a été illustré dès le IX°s à travers la réinvention de l'Algèbre par le persan Al Khawarizmi : il s'était inspiré des travaux de Diophante d'Alexandrie, penseur Grec du IV°s, demeurés au stade purement théorique; il sut exploiter l'utilité de cette théorie abstraite pour la mettre au service des opérations courantes dans les transactions commerciales, et de la solution des conflits de partage dans les problèmes d'héritage ou d'arpentage des terrains après une crue, …etc. De plus, Al Khawarizmi, emboîtant le pas au philosophe Al Kindi (800-870), sut exploiter l'utilité sociale du chiffre ZERO qu’Al Kindi avait découvert en Inde où il désignait le NEANT. Il l'incorpora au système des chiffres arabes (1,2,3,4,5,6,7,8,9,0) qui remplaceront les chiffres romains, inadaptés aux calculs scientifiques exigeant simplicité et rapidité.
Quant au modèle géocentrique de gravitation du soleil et des planètes autour de la Terre, que les disciples de Ptolémée avaient réussi à imposer universellement dans toutes les études d'astronomie depuis le IIème siècle (ce que les rédacteurs de la Bible fixèrent dans ses Saintes Ecritures, et que l'Eglise imposa comme dogme jusqu'en 1757 où le Pape Benoît XIV, de formation scientifique en astronomie, finira par admettre la thèse de Galilée montrant que c'est la terre qui gravite autour du Soleil dans le mouvement elliptique décrit par Newton en 1688 selon sa loi de la gravitation universelle), c'est un savant arabe d'Egypte, Ibn al-Haytham, qui le réfuta au XI°s en démontrant que ce système géocentrique ne rend pas compte de la réalité physique des mouvements des planètes (c'était donc 5 siècles avant Copernic ! ).
Plus tard, au XIII°s, le géocentrisme de Ptolémée fut à nouveau contesté par le savant arabo-musulman de Maraghâ en Azerbaïdjan, Nasir al-Din al-Tûsi, avant d'être à nouveau réfuté par le savant du Caire, Ibn al-Shâtir, au XIV°s.
Toutes ces découvertes arabes en astronomie furent stimulées par l'utilité de fournir aux dirigeants politiques de ce vaste empire une cartographie exacte de l'espace qu'ils gouvernaient, de façon à pouvoir repérer et mieux administrer les diverses régions, de même que pour y livrer bataille ou réprimer une révolte, sans oublier l'impérieuse nécessité de fixer le calendrier et les heures des jeûne dans le mois du Ramadan mouvant année lunaire après année lunaire, ainsi que les heures précises des 5 prières de chaque jour. Pour cela, des observatoires d'astronomie se trouvaient dans chaque métropole.
L'étude de l'astronomie nécessitant des lentilles et des miroirs, les chercheurs arabes durent s'adonner à en créer divers types servant à la réflexion de la lumière. Cela favorisa le développement précoce de la science de l'optique qui prit une grande importance parmi les disciplines scientifiques développées par les savants musulmans aux IX°s- XIV°s, cette période où l'école de pensée Motazilite avait promu l'ouverture des esprits de l'élite Omeyyade et Abbasside qui étudiait la logique dialectique et rationaliste des Anciens philosophes Grecs dont Aristote fut leur plus grand Maître à penser.
Et, comme les recherches arabes portaient sur les connaissances et la philosophie des penseurs de l'Antiquité grecque dont les ouvrages leur étaient accessibles dans la bibliothèque d'Alexandrie, devenue ville de l'empire Omeyyade, les savants arabes y découvrirent la science de l'Alchimie, initiée au II°s par le néo-platonicien Hermès Trismégiste, dit 3 fois puissant. Cela leur ouvrit la voie sur de multiples théories alchimistes enduites de grande spiritualité métaphysique tout en les sensibilisant à une science, plus matérialiste, la chimie (qui va éclore au XVIII°s en Europe occidentale avec Lavoisier en France). Les savants arabes en tireront le procédé de distillation de l'alambic qui leur servait à fabriquer de l'alcool à usage de leur médecine pour aseptiser les plaies ouvertes.
La diversification des sciences arabes alla jusqu'à la création d'ouvrages de statique et de mécanique, dont certaines parties utilitaires servirent à des procédés ingénieux de fabrication d'objets utilitaires, comme des jouets ludiques, des instruments pour soins médicaux ou des machines de guerre.
Quant au développement de la médecine par les savants arabo-musulmans, leur démarche scientifique se concentrait plus sur l'expérience que sur des hypothèses théoriques ou intuitives. C'est ainsi que le philosophe d'origine persane, Al-Râziy dit Rhazès (864-925) fut le premier à oser critiquer le savant incontesté de la médecine romain, Galien, après l'avoir étudié pour pratiquer sa propre médecine. Puis, au début du XI°s, il y eut Avicenne (980-1037), surnommé "le prince des savants" du fait que son immense œuvre comportait 240 Traités embrassant toutes les sciences de son époque, allant de la médecine à la logique, à la linguistique et à la métaphysique, alors même qu'il fut plusieurs fois ministre auprès de divers princes qui sollicitaient son expertise en tous domaines en plus de sa meilleure connaissance de la médecine qui l'attirait chez les princes de la Perse pour les soigner. Son expertise était si fiable que son principal ouvrage, "Les canons de la médecine", fut traduit en latin à Tolède au XII°s et servit de référence pour l'enseignement de la médecine dans toutes les universités européennes jusqu'à la fin de la Renaissance européenne.
L'on ne peut pas clôturer l'énumération des plus grands penseurs et hommes de science de l'Islam des Lumières sans évoquer Ibn Rushd ou Averroès (1126-1198). Né à Cordoue en Andalousie arabe, il fut d'abord juriste avant de devenir médecin de l'émir Abu Yaqûb Yûsuf à Marrakech, qui lui demanda de lui expliquer la philosophie d'Aristote dont il avait dit beaucoup de bien. Averroès dut alors s'y adonner en faisant un travail minutieux d'exégèse intégrale qui lui valut d'être qualifié par les Latins du titre de "Le Commentateur d'Aristote". Ceci était si vrai que Dante le fit apparaître dans "La Divine Comédie", de même qu'il figure dans le grand tableau de Raphaël "L'école d'Athènes". Son apport fondamental à l'humanisme européen et à la Renaissance de la pensée occidentale, c'est d'avoir rétabli la vérité de la pensée d'Aristote en identifiant les erreurs de ses nombreuses traductions antérieures où des lacunes et des rajouts postérieurs en avaient falsifié l'authenticité.
Averroès alla même plus loin en élaborant son propre système philosophique où il défend la thèse que le monde et le cosmos existent de toute éternité en évoluant suivant leurs propres lois tout en étant créés par Dieu, le créateur de l’univers. Cela révolta les Ulémas déjà sans qu'ils puissent encore le faire condamner par le Prince Almohade qui l'hébergeait et le protégeait. Mais ce qui révolta la cour royale des Almohades, c'est son rejet de l’immortalité de l’âme et donc de sa survie après la mort. Il fut alors durement condamné par les Oulémas musulmans qui réussirent à le faire partir en exil et à brûler ses ouvrages comme hérétique ou Kâfir.
Cependant, il faut supposer que toutes les avancées des savants musulmans, à caractère scientifique et profane, étaient admises parce qu'elles furent qualifiées comme telles par les Oulémas de cette époque qui étaient encore sous l'influence Motazilite qui faisaient référence aux "Sciences des Anciens" du temps antéislamique pouvant être utile au présent du temps islamique. Cette expression "Sciences des Anciens" permettait de justifier l'existence de ces savoirs en dehors du Coran, présenté aux Fidèles Musulmans comme le Livre de la connaissance, du fait qu'il récite ce qu’Allah a directement dicté à son Messager Mohammed.
Malheureusement, par la suite, la liberté de penser fut étouffée par le Persan Nizam El-Molk (1018-1092), devenu Vizir tout puissant des sultans seldjoukides Alp Arslan et Malik Shah Ier, qui conquirent l'Anatolie, la Syrie et toute la partie Est de l'empire Abbasside. Ce Vizir, grand génie administratif, sut réorganiser toute l'administration du Sultanat Turc. Il y fonda la madrasa, école publique, qu'il généralisa à tout l'empire dans le but de se rallier les ulémas sunnites dans sa gouvernance de l'Etat, comme l'avaient fait les Califes Abbassides aux VIII°s et IX°s pour instaurer le Motazilisme comme religion d'Etat. Et la madrasa servit ainsi à la diffusion du droit sunnite et des sciences agrées par les Ulémas sunnites anti-Motazilites : l'apprentissage littéral de la Sunna avec un Coran désormais incréé, les mathématiques et l'astronomie, à l'exclusion de la philosophie dialectique d'inspiration aristotélicienne. Cette stratégie de diffuser le sunnisme par les Madrasas, les prêches à la Mosquée et les Ulémas, permit de répandre facilement l'Islam dogmatique, théorisé par El Ghazali.
La doctrine d’El Ghazali vise à soumettre la raison à la foi, avec un Coran incréé et une Sunna immuable, imposant la pratique de l'Islam comme au temps du Prophète. Cet enseignement s'oppose au Motazilisme dont la doctrine rationaliste prône la relativité d'interprétation des Saintes Ecritures au service du bonheur de l'homme sur Terre.
Il faut remarquer que sa stratégie idéologique d'imposer un Islam sunnite rigoriste et dogmatique, finira par se retourner contre Nizam El-Molk en personne, parce qu'il sera assassiné en 1092 par la secte des « Haschischin'» (mot arabe désignant "fumeurs de Hachich", d'où dérive le mot français "Assassin"). En effet, ces Haschischin', adeptes d'un sunnisme radical, furent les premiers terroristes de l'histoire de l'Islam, en étant alors missionnés par "le Vieux de la Montagne" pour assassiner les ennemis du sunnisme. Et, dans ce cas précis, il était reproché au Vizir Nizam Al-Molk et à son Sultan Malik Shah 1er de vouloir embrasser la religion chiite, le Sultan ayant été assassiné un mois après son Vizir.
L'EXTINCTION DES LUMIERES ET LA CHUTE DE LA CIVILISATION ARABE
Par le canal idéologique des Madrasas, tenant lieu d’école coranique, publique et gratuite, le pouvoir politique des puissants Turcs Seldjoukides imposa à l'ensemble du monde musulman oriental (qu'il domina militairement à partir du milieu du XI°s), la doctrine conservatrice et dogmatique du théologien El Ghazali, dans l'unique souci stratégique d'interdire l'enseignement de la philosophie rationaliste à tous les jeunes apprenants Arabes. Ceci, dans le but politique de les empêcher d'acquérir l'esprit critique capable de générer une contestation idéologique et politique du pouvoir Turc.
De la sorte, le comportement individuel de leurs sujets Arabes était appelé à rester docile envers le pouvoir politique très centralisé du Sultan Turc Seldjoukide, grâce aux Ulémas et directeurs des Madrasas qui leur inculquaient le devoir religieux de soumission au pouvoir, représenté par des préfets que le Vizir Nizam El-Molk faisait former dans une école spécialisée dans l'administration régionale. C'était en quelque sorte, avant la lettre, une sorte d’E.N.A. comme ce que Napoléon créera 9 siècles plus tard pour administrer les départements créés sous la Révolution française.
De plus, ces préfets de région du sultanat turc seldjoukide avaient la particularité d'avoir été sélectionnés parmi les captifs achetés en Méditerranée et provenant des Balkans ou d'Ukraine où il y avait des marché aux esclaves qui alimentaient aussi en jolies filles les Harems du Sultan et des princes turcs. Ces préfets étaient choisis exprès comme étrangers au monde arabe pour limiter leur promiscuité avec les populations locales, et ils étaient esclaves du Sultan dont ils apprenaient la langue turque pour pouvoir exercer leur future fonction administrative. Et ce statut d'esclave les privant du droit de propriété, ils se trouvaient à l'abri des tentations de corruption et donc entièrement dévoués à leur Maître, le Sultan, qui les nommait préfet des régions lointaines sans risque de trahison au servie d'une rébellion locale.
De la sorte, le grand stratège Vizir Nizam El-Molk avait-il réussi à protéger la stabilisé du pouvoir des Sultans Turcs Seldjoukides pour un millénaire, jusqu'à la défaite de l'empire ottoman en 1918 dans la 1ère Guerre Mondiale. En effet, la stabilité politique de ce pouvoir reposait sur 2 bases :
- d'une part, cette nature spécifique des préfets assurait au pouvoir du sultanat Turc la stabilité politique des régions administrées par ces préfets ;
- d'autre part, le formatage dogmatique de l'enseignement de l'Islam dans les Madrasas conformément à la pensée unique d'El Ghazali soumettant la raison à la foi en un Coran incréé, de même que le bannissement des programmes scolaires de la philosophie rationaliste Motazilite d'inspiration aristotélicienne, ont garanti au pouvoir turc l'absence d'esprit critique et donc de contestation dans les mentalités du monde arabo-musulman qu'il colonisa dès le XI°s.
C'est ce ligotage, à la fois administratif, religieux et idéologique du monde arabo-musulman qui assura sa pérennité au pouvoir politique du sultanat Turc Seldjoukide d'origine d'Asie centrale non arabe, jusqu'à sa défaite militaire en 1918 dans le conflit de la seconde Guerre Mondiale (1914-1918). C'est aussi ce qui explique pourquoi le monde arabo-musulman plongea progressivement dans l'obscurantisme à partir du XII°s jusqu'à ne plus voir émerger de nouveaux savants après le XIV°s.
N. M. KALIFE
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