Foi et Raison

(au 21ème siècle)

 

Avertissement : en préparant une conférence sur ce sujet, j’ai lu un certain nombre d’ouvrages cités comme références en fin de texte. Je présente ci-dessous des notes de lecture que j’ai pu recueillir et qui m’ont particulièrement intéressé dans ma réflexion. Ce n’est qu’une extraction d’une version plus fournie en notes de lecture.

Le titre est un peu provocateur, il fait allusion aux apports et aux impacts des évolutions technologiques qui pourraient interagir sur la façon de penser, de raisonner et notre spiritualité.

Les discours sur l’Islam et les musulmans nécessitent quelques mises au point à l’égard de ceux qui sont censés porter et contribuer à l’amélioration de la dignité humaine et qui cherchent la vérité.

L’Islam et les musulmans sont vus à travers un prisme qui a perdu la richesse de ses couleurs. Le pétrodollar a largement contribué à cette dégénérescence par la diffusion de courants dogmatiques et passéistes. Cependant, quand on sème le vent, on récolte la tempête.

L’histoire de la propagation de la religion musulmane a montré l’émergence de plusieurs courants de pensée, plus précisément quatre courants allant du plus passéiste au plus « ouvert ». Je ne voudrais citer qu’un courant qui a disparu et pour cause, celui des Mouatazilites qui prônait la responsabilité individuelle, que l’homme est libre et responsable de ses choix. N’est-ce pas là un des principes humanistes ?

Par la suite, Ibnou Rochd a été celui qui a approfondi ce concept de responsabilité de l’homme face à son destin, par sa pensée sur la philosophie et la religion. Pic de la Mirandole a repris le flambeau à travers, entre autres, ses lectures des philosophes musulmans (arabes et persans) pour donner force et vigueur à l’humanisme.

Pour illustrer notre propos, voici une anecdote sur le sujet :

« Il s’agit d’un homme venu avec son chameau faire sa prière. Le prophète de l’Islam lui enjoint d’attacher son chameau. L’homme répond : « pas d’inquiétude ! Dieu va le garder. » Le prophète lui dit alors : Attache ton chameau et demande ensuite à Dieu de le garder »

S’en remettre à Dieu ne signifie donc pas s’exonérer de sa propre responsabilité et faire appel à son intellect.

Selon Averroès, « la croyance repose sur l'acquiescement irréfléchi ou la controverse, pivot de l'opinion et de l'estimation tandis que la certitude est une vision intérieure éclatant par la démonstration qui illumine les intelligences et par le dévoilement parfait ».

De quoi parle-t-on : foi vs croyance ?

La raison est la faculté qui nous rend capable de considérer les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, en faisant abstraction de nos préjugés, de nos intérêts, de nos sentiments. Elle a donc un usage théorique: la connaissance, et un usage pratique : la morale et la politique.

La raison est la faculté de penser logiquement. C'est une faculté mentale : la capacité de bien juger, c'est-à-dire de distinguer le vrai du faux, comme le bien du mal. Dans le premier sens, on dira qu'une personne est rationnelle, dans le second, on dira qu'elle est raisonnable.

Étymologiquement, le mot foi nous vient du mot latin fides n’ayant aucune connotation religieuse et qui lui-même est rattaché à la racine indo-européenne bheidh, exprimant la notion de confiance et de raison.

La croyance est souvent confondue avec la foi, toutes deux associées à tort à quelque chose de fondamentalement religieux. En faire la distinction nous amène à une plus grande compréhension de notre manière de fonctionner.

Comment ne pas parler « de la foi du charbonnier » : le charbonnier dans cette expression est celui qui livre le charbon dans les villes, et l’origine de cette drôle d’expression (pourquoi donc un charbonnier aurait-il une foi inébranlable?) trouverait, d’après Fleury De Belligen (qui était grammairien au 17ème siècle) son origine dans un conte :
« Le Diable un jour demanda à un malheureux charbonnier :
– Que crois-tu ?
Le pauvre répondit :
– Toujours je crois ce que l’Église croit.
Le diable insista :
– Mais à quoi l’Église croit-elle ?
L’homme répondit :
– Elle croit ce que je crois.
Le Diable eut beau insister, il n’en tira guère plus et se retira confus devant l’entêtement du charbonnier»

L’expression  « avoir la foi du charbonnier » daterait ainsi du Moyen-Age, période où la foi d’une population souvent ignorante était alimentée par des formules apprises en latin, donc incompréhensibles, et par cœur. La foi absolue du croyant impliquait qu’en retour Dieu leur accorde protection, reconnaissance et aide.

  • Questions soulevées par le thème

Est-il possible sans blasphémer, de chercher la vérité sur la naissance du monde? Peut-on penser Dieu de façon rationnelle? Comment accorder la religion et la philosophie ? Peut-on concilier la philosophie de l’Antiquité avec le monothéisme? Comment éviter que la religion soit un discours mystique, hors de la raison? Autrement dit, faut-il laisser la raison se construire contre Dieu?

La science est-elle l’ennemie de la foi ? La science améliore-t-elle la vision sur nous-mêmes et sur le cosmos? La modernité est-elle païenne ? Pourquoi Dieu laisse-t-il les hommes faire le mal? La philosophie et la science sont-elles des activités blasphématoires ? La foi et la science sont-elles comme deux faces de la même parole de Dieu ? Faut-il dire toute la vérité au peuple ? Comment l'ésotérisme de l'Islam a pu contribuer à cheminer vers l'universel et réunir ce qui est épars ?

Entre tradition et modernité, comment renouer avec les sources sans verser dans la nostalgie? Comment faire pour que les traditions ne se transforment pas en cendre, mais que la braise de l’intellect reste maintenue par une transmission intelligente ? Quel serait l’apport de l’histoire (étude de l’histoire) pour que foi et raison reprennent force et vigueur et réduisent voire bannissent l’idolâtrie ?

Ratio et Fides, raison et foi avaient jadis, été jugées complémentaires. La réflexion philosophique a-t-elle ouvert la voie de leur opposition en voulant se dissocier de la révélation abrahamique et notamment biblique ?   Quel est le statut de la foi dans une société plurielle et sécularisée, marquée par une excommunication politique du religieux ?

Une liberté sans contrainte est-elle envisageable ? Autrement dit, peut-on vivre librement tout en continuant à pratiquer des rituels que nous ne sommes plus en mesure de nous expliquer et accepter de répondre. « C’est comme ça que faisaient nos ancêtres »?

Y-a-t-il une double vérité, ou incompatibilité entre philosophie et théologie? Théologie et philosophie sont-elles des alliés ou des adversaires ? Comment rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu ? Faut-il privilégier une quête de sens à sa vie à une quête de sens après sa mort et les « tourments de la tombe »  « Âdhab Al Kabr »?

Parmi tous ceux qui ont osé penser à ces questions, le premier, le plus grand peut-être, le plus audacieux en tout cas, est en Islam : Ibn Rochd (Averroès). Maître à penser du plus grand siècle de l’Islam, Averroès affirme la cohérence de la foi et de la science d’une phrase simple, renversante :

« La vérité ne saurait contredire la vérité, elle s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. »

Une phrase si forte que tous ont voulu la récupérer pour en faire la promesse d’une réforme de l’islam, le précurseur du siècle des Lumières, la source des espoirs théologiques d’aujourd’hui.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’apporter des réponses à toutes ces questions. En revanche il s’agit d’identifier les progrès et les lumières qui ont contribué à respecter la dignité humaine, et à faire la part des spéculations sur les croyances et opinions.

  • La pensée d’Ibnou Rochd (Averroès) : l’Averroïsme.

C’est un crime de lèse-majesté de ne pas évoquer ARISTOTE dans cette réflexion. Il est le maître à penser de la plupart des philosophes et notamment en Andalousie médiévale. N’est-ce pas lui qui a dit que « l’homme a soif de savoir » et qui a insufflé le courant péripatéticien aux commentateurs musulmans (Arabes et persans). Averroès était de ceux-là, parmi les premiers qui ont contribué à l’évolution de la pensée sur la foi et la raison, il a apporté une vision sur la cohérence de la vérité entre philosophie et théologie, que l’on soit d’accord ou pas.

 

La pensée andalouse (800 – 1300)

 

Il faut noter d’emblée, le paradoxe que les valeurs portées par la pensée occidentale et les philosophes des lumières à savoir : la volonté de connaissance, l’humanisme, le progrès ont été longtemps diffusées par les fidèles de l’Islam.


Les fidèles de l’Islam ont édifié un espace de progrès et sans le développer ici, l’on visera notamment la période du Califat Abbasside qui permit un temps la conservation et la réunion fructueuse, à la manière de l’encyclopédie, du savoir universel. De même, « Al Andalous » a également représenté un temps une période féconde de cohabitation fructueuse entre communautés religieuses diverses: Musulmanes, Juives et Chrétiennes.


Même si la présente période que nous traversons peut laisser à penser le contraire, il faut donc se garder des préjugés et rappeler que les pratiquants de l’Islam ont longtemps porté une certaine tolérance confessionnelle.

Les philosophes péripatéticiens Andalous qui ont contribué au développement de la pensée médiévale sont nombreux. On se contentera de citer Ibnou Sina (Avicennes), Al Farabi et Ibnou Rochd (Averroès)   qui ont été au cœur des polémiques à cause de leur pensée philosophique et leurs liens avec le thème de cette présentation.

 

Averroès et le discours décisif sur l’intellect

 Comment dépasser les antagonismes qui n’ont d’autres fondements que des préjugés alimentés par des idées reçues. Un tel dépassement est-il possible?

Averroès (vivant dans une Andalousie monothéiste) qui a professé le culte de la raison et a prêché le culte de l’intelligence, répondrait sans hésitation que ce dépassement est non seulement possible mais aussi souhaitable et nécessaire. Il ajouterait même que son entreprise intellectuelle n’avait d’autres buts que la réalisation de ce dépassement qui consistait alors à mettre en ordre (cohérence) les liens entre la religion et la philosophie, la religion (l’islam entre autres) et la philosophie. Il se trouvait alors dans une situation analogue à celle que nous subissons de nos jours.

Ibnou Rochd écrit : « Il est recommandé à tous ceux qui ont choisi la recherche de la vérité (…), lorsqu’ils se trouvent devant des affirmations qui leur paraissent inadmissibles, d’éviter de rejeter systématiquement ces affirmations et d’essayer de les comprendre, à travers la voie dont ceux qui les posent prétendent qu’elle mène à la recherche de la vérité. Ils doivent consacrer, pour arriver à un résultat décisif, tout le temps nécessaire et suivre l’ordre qu’impose la nature de la question étudiée »

Le droit à la différence faisait partie de la pensée d’Ibnou Rochd (Averroès). Les interprétations par les Averroïstes latins de la pensée d’Ibnou Rochd, pour la religion comme pour la philosophie, a joué un grand rôle dans le processus en question, de différenciation. Il était plus facile, en effet, aux Averroïstes latins, qui luttaient contre l’autorité de l’Église, de passer de la séparation de la religion et de la philosophie, prônée par Ibnou Rochd, à la séparation de l’Église et de l’État, à la laïcité qui s’annonçait dans leur combat.    

 

La réalité et la vérité ne se recouvrent pas ou se recoupent dans un cadre restreint, celui des réalités et des vérités scientifiques. La révélation est un acte qui s’inscrit entre le présent et l’avenir (le mot c’est révéler, et c’est le révélateur qui permet au photographe de faire surgir l’image, des ténèbres), donc du fait de l’évolution de l’humanité, par les apports de toutes sortes de savoirs et de connaissances. La pensée d’Ibnou Rochd s’inscrit sur une voie dynamique et se développe avec le temps, la révélation continue dans la tradition, le temps n’est pas étranger à la Loi, à son évolution et son exégèse. C’est à l’usage des mots et des développements des idées relativement à l’espace-temps que l’Homme appréciera la révélation, soit d’une manière ouverte et universalisable, soit d’une manière dogmatique et communautariste. Pour mieux comprendre et relativiser le mode d’expression, le mot « Cœur », chez les bédouins d’Arabie, était le siège du raisonnement et de l’intelligence, des situations qui conduisent à prendre les bonnes décisions, alors qu’en occident le cœur est le siège des sentiments et des passions.

L’appel à user de l’intellect montre que, pour Averroès, il y a une profonde harmonie entre la religion et l’intellect. L’intellect n’est pas la raison humaine, à laquelle nous nous sommes accoutumés depuis René Descartes. L’intellect pense, et l’homme, à hauteur de son effort, se joint ou non à la pensée. Ce n’est pas l’homme qui est source de la pensée, mais la pensée l’investit à hauteur de son effort. Il faut imaginer l’intellect comme un élément que nous rejoignons par nos dispositions de pensée.

Un verset coranique, au sujet de l’effort intellectuel, dit : « si vous pouvez percer les mystères des cieux et de la terre, allez-y. Mais vous ne pouvez les percer qu’au moyen de preuves (Soltane) ».

C’est aussi une incitation à ne pas prendre les mots au pied de la lettre, comme il ne faut pas prendre les mots pour les idées. L’effort intellectuel consiste à extraire l’idée derrière le symbole, et selon les capacités intellectuelles de tout un chacun. Ainsi la notion de l’effort intellectuel (Jihad et Ijtihad chers aux théologiens musulmans) reprend tout son sens pour le progrès de la communauté musulmane (et pas que).

  • Les lumières de l’occident

Il s’agit de donner un aperçu très succinct (pour plus de détails cf. la référence documentaire N° 4), et en aucun cas exhaustif, des philosophes des lumières qui ont apporté leur contribution à la dignité humaine, à la raison, en rapport avec cette réflexion.

Kant et le «  Sapere Aude »

La devise des lumières est « Sapere Aude », « aies le courage de te servir de ton propre entendement ». Le salut de l’humanité dépend donc, pour Kant, de la faculté de l’homme à devenir adulte.

1°- en tant qu’homme libre capable de s’arracher à ses instincts négatifs (violence, domination d’autrui etc.).

2°- en tant qu’homme majeur, lutter contre la paresse, qui le conduit à préférer une servitude confortable aux risques de sa liberté, en se laissant persuader par les belles paroles de « tuteurs » autoproclamés (qu’ils soient politiques ou religieux).

3°- Pour atteindre « la majorité éclairée », il devra libérer sa liberté par un surcroît d’efforts et de courage. Et comme le dit Kant, la liberté de penser n’a aucun sens « sans liberté de communiquer ses pensées ».    

Hélas, c’est un horizon sans doute bien lointain, qui permet à certains cette conclusion désabusée « Non, notre époque n’est pas éclairée, mais seulement en voie d’éclaircissement ».

Hegel et l’épopée de la raison

« Penser, c’est juger ». La pensée pour Hegel est dialectique, faite de tensions et de contradictions à surmonter. Car en dépit des apparences, la philosophie témoigne, envers et contre tout, qu’il y a de la raison dans le monde.

La pensée de Hegel se trouve condensée dans le dicton « Ce qui est rationnel est effectif, et ce qui est effectif est rationnel ». La raison n’est pas une simple faculté du sujet humain. Elle n’existe que grâce au dialogue constant entre les hommes et entre les hommes et le monde des choses. Selon Hegel « lorsque je pense, ou plutôt, lorsque nous pensons c’est le monde (celui des hommes et des choses) qui se pense à travers nous ».          

Spinoza et le stoïcisme

Spinoza, qui a choisi sa famille spirituelle du côté du stoïcisme, a tout de suite contesté le dualisme de Descartes. Il fut qualifié en son temps de matérialiste athée, et chassé de la synagogue. Pour Spinoza, la substance est unique, ses deux modes étant la pensée et l’étendue. L’homme et l’Être sont dans l’unité. Dieu est consubstantiel à la nature des choses. Il est cause immanente agissant de l’intérieur. Contre l’affirmation de Descartes, qui veut que l’âme et le corps soient deux substances distinctes et séparées, Spinoza définit Dieu comme la substance unique. Et il affirme que le spirituel ne se détache pas du corporel, ruinant par-là l’Espérance religieuse, d’une survie de la personne dans la substance immatérielle que serait l’esprit.

Nietzsche et les traditions mystiques (soufisme)

De prime abord, il peut paraître étrange, fantaisiste ou incongru de vouloir trouver des similitudes entre celui qui personnifie l’athéisme militant et le courant spirituel ou mystique qui se revendique de l’Islam. Cependant, peut-on raisonnablement se représenter Nietzsche de la sorte ?

Cette conception découle d’une compréhension qui semble erronée, de la part des héritiers des Modernes ou des Lumières, de sa trop célèbre assertion « Dieu est mort ». Les tenants de l’athéisme militant de l’époque, rationalistes absolus, voulurent comprendre, trop rapidement, que Nietzsche affirmait que Dieu avait finalement cessé d’exister ou que l’idée de Dieu avait définitivement disparu des consciences. On peut plutôt envisager Nietzsche comme l’héritier du courant Illuministe, qui perpétue la Tradition, confluent des différentes traditions ésotériques. Il s’agit donc d’un changement de perspective radical. Le soufisme étant l’une de ces traditions ésotériques, on peut se demander s’il a pu exercer une influence directe sur Nietzsche.

Ibnou Rochd (Averroès), a sans doute contribué à la philosophie des lumières et, sans le dire, a mis l’homme devant sa responsabilité face à l’immanence et la transcendance. Ses commentaires des philosophes grecs ont éclairé l’occident qui a porté le flambeau de la dignité humaine par le biais de Pic de La Mirandole.      

  • Les opposants à la philosophie et à Averroès

Al Ghazali :

 

Opposant à la philosophie tout court  et notamment à Ibnou Sina (Avicennes).

Al-Ghazâlî, est une référence dans le monde musulman, il a une formation philosophique très poussée ; il écrit un essai tentant de résumer la pensée de philosophes musulmans déjà célèbres (Al-kindi, Al Frarabi (Alpharabius), Ibnou Sina et d’autres). Déçu dans sa recherche d'une vérité philosophique finale, il s'oriente vers un mysticisme profond refusant toute vérité aux philosophes et les accusant d'infidélité. Dans son ouvrage Tahâfut al-Falâsifa (L'Incohérence des philosophes) (1095), il entend montrer par la méthode même des philosophes - qu'il maîtrise du fait de ses études - que les philosophes n'aboutissent qu'à des erreurs, condamnables selon lui puisque contredisant la Révélation. Sa critique vise particulièrement l'aristotélisme d'Avicenne.

Ibnou Rochd reproche à l’Imam Al Ghazali, de ne pas respecter dans ses objections aux philosophes, les règles du dialogue visant à la recherche de la vérité. Al Ghazali affirmait que son but était de mettre en doute les thèses des philosophes et ajoutait qu’il y a réussi.

Ibnou Rochd (Averroès) a rédigé son ouvrage « tahafout at tahafout », incohérence de l’incohérence, pour apporter son commentaire et sa pensée sur les propos d’Al Ghazali.

Thomas d’Aquin :

Il a mené une critique systématique de la théorie Avérroiste de l’âme. Comme Aristotélicien, le principal reproche que Thomas adresse à Averroès est d’avoir déformé la pensée d’Aristote. Pour ce qui est du rapport entre foi et raison, ses critiques portent sur ce qui est, dans la psychologie du philosophe Andalou, incompatible avec la foi (croyance) chrétienne.

Polémiquant contre Averroès, Thomas l’Aquinate est le premier, pour faire valoir les droits de la personne en philosophie de l’esprit, à parler du moi comme d’un sujet individuel, acteur ou agent de ses actes ou états mentaux. En réunissant deux notions opposées par Aristote (celle du sujet, synonyme de passivité, et celle d’agent), l’Aquinate est l’un des inventeurs de la subjectivité (le contraire de la rationalité et de la raison).        

Alors que la religion se prend pour la vérité,   la philosophie est au service de la recherche de la vérité. Thomas d’Aquin précise par ailleurs que la philosophie, la recherche de la vérité, ne peut présenter de danger pour la religion, qui selon lui est la vérité : elle ne peut au contraire qu'y conduire. La philosophie se retrouvera donc in fine au service de la révélation. Les bases que prend Thomas sont les textes sacrés, et donc le travail philosophique de la Somme consiste, au moyen de questions successives, à en débusquer les contradictions apparentes et à les résoudre par une approche qui s'apparente à la future dialectique de Hegel (en partant évidemment d'autres bases).

Ernest Renan :

Ernest Renan : Pour lui, il n’y a que les philosophes grecs et les philosophes germaniques. Il ne voyait dans le moyen âge qu’une « effroyable » aventure, « qu’une interruption de mille ans dans l’histoire de la civilisation », n’avait que peu d’estime pour la philosophie médiévale, ce « long tâtonnement pour revenir à la grande école de la noble pensée : l’Antiquité » (Cf. référence 5 p 13, par Alain De Libera).

Il considère que les commentaires des philosophes grecs par les musulmans (Arabes ou Perses) ont corrompu la philosophie grecque et ont entraîné l’Occident dans des siècles d’obscurantisme, et du coup il a tenté d’effacer leur apport à la philosophie en général et la philosophie occidentale en particulier.

Ces critiques étaient assez virulentes à l’égard d’Averroès qui, selon Renan, a osé toucher les fondements de l’Église par le biais des Averroistes. Il semblerait que les raisons de ces attaques sont dues, entre autres, au fait que ces philosophes n’étaient que des arabes et musulmans par-dessus le marché (Cf. référence 5 p 14 par Alain de Libera).        

On peut se poser de façon objective la question sur ceux qui ont freiné le développement de la philosophe en dehors du cadre religieux  et qui ont retardé le développement des sciences, de la philosophie et de l’humanisme en occident.

Comme on peut se poser également la question de la latinisation de tous les noms des philosophes arabes et perses sous l’impulsion de l’église.

  • Foi et raison vs les développements des sciences au 21ème siècle

Les sciences sociales et humaines nous apprennent que la souffrance naît du désir, de l’attachement, de la haine, de l’orgueil, de la jalousie, du manque de discernement et de tous les facteurs mentaux que l’on appelle « négatifs » ou « obscurcissant » et plongent l’esprit dans un état de confusion et d’insécurité laissant l’homme à la merci de ceux qui cherchent à le dominer.

Il est indéniable que les progrès scientifiques apportent un confort pour l’humanité, un nouveau regard sur l’Homme, sur la nature et sur le cosmos. Si ces progrès génèrent de l’espoir, ils provoquent des frustrations au sein d’une partie de la population, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. Elles donnent la possibilité à des sectaires, d’en abuser auprès de ces populations, en accentuant les croyances, les peurs, les faux espoirs et le dogmatisme, et les exportent en dehors de leurs frontières.

 

Combat scientifique ou idéologique

La « nature » de l’homme explique son comportement et les institutions qu’il produit. Les outils à disposition vont permettre de la mesurer ce qui, dans cette vision du monde, veut dire la comprendre. Les GAFAM et l’écologie de la Silicone-Vallée portent directement cet agenda. Les réseaux d’influence néolibéraux se reconnaissent aussi dans cette révolution. Enfin la théorie économique dominante et ses variantes disciplinaires, qui structurent toujours la formation de nos élites, s’approprient les sciences 2.0  par le développement d’une NTBIC-économie et d’un NTBIC-management.

Livres, colloques, revues spécialisées, fonds de recherche et bourses richement dotées : les appels au rapprochement entre science et religion sont devenus « une industrie », s’insurge l’historien des sciences Yves Gingras dans son dernier livre, L’impossible dialogue : Sciences et religions (Boréal et Presses universitaires de France).

Pourtant, montre-t-il dans cet ouvrage, les conflits entre science et religion sont « indéniables ». La condamnation de Galilée par l’Église, en 1633, en est l’exemple emblématique : avec d’autres savants, le physicien italien affirmait, comme on le sait, que la Terre n’est pas le centre du monde et que c’est elle qui tourne autour du Soleil, pas l’inverse. Mais cet exemple est loin d’être le seul. Et il n’y a pas que les catholiques pour remettre en cause, encore aujourd’hui, certaines explications scientifiques de la nature.

A propos de science et croyance

Pasteur disait que « ma foi et ma croyance religieuse s’arrêtent à l’entrée de mon laboratoire de recherche».

La plupart des pays musulmans continuent à garder le suspens des débuts des mois lunaires et notamment celui du mois de ramadan. En effet, selon le coran, il faut observer la lune pour attester du début ou de la fin du mois. Alors, que l’on connaît par des moyens scientifiques irréfutables la position de la lune maintenant et dans les années à venir. Comment peut-on interpréter « observer »? La réponse viendrait de certains théologiens par l’impulsion du politique.  

On peut donc avoir des croyances religieuses personnelles et, par ailleurs, adhérer à une science authentique. Yves Gingras cite « Il faut laisser la science et la religion s’en aller par des chemins parallèles vers leurs buts propres », sans chercher à tout prix « l’harmonie » entre les découvertes scientifiques et les croyances religieuses. En fait, c’est de la confusion intellectuelle que de mêler les deux. Il faut distinguer l’individu croyant de l’institution scientifique. On peut être croyant et ne jamais invoquer Dieu dans une explication scientifique. La science s’est inspirée des récits religieux pour donner sens aux Jardins d’Eden en utilisant les observations par satellite.

La recherche de la vérité

C’est quoi la vérité ? Qu’est ce qui est vrai ?

La vérité est un concept abstrait qui nous vient de la Grèce antique et de la pensée conceptuelle des philosophes grecs. R. Benzine p189 (Cf. référence 2) affirme que les langues sémitiques (l’arabe et l’Hébreu …) sont très concrètes et s’accommodent moins bien des concepts. Le terme arabe Haqq, qui est traduit en français par « vérité », comporte deux significations originelles : d’une part, ce qui est juste – l’idée de justesse- et d’autre part, ce qui se réalise au sens d’effectuation ou de création.

Al Hallaj (856-922), poète, philosophe et mystique perse, a dit « je suis la vérité », et la sentence de ceux qui n’ont pas compris la profondeur de ses propos est tombée : Il fut pendu et ensuite brûlé. Il fut le premier martyr mystique.

  1. D. Horvilleur (voir réf 2 p. 193) : Il y a une confusion au sujet de la vérité ; certains pensent la détenir, alors que nous sommes en chemin vers elle. A partir du moment où l’on pense la posséder, il n’y a plus de place pour un idéal d’universalité. Il faut avoir l’universel comme but, et le particulier comme moyen (disait un Rabbin italien du 19ème siècle). Naturellement, si l’on décide que son propre langage est LE Langage, qu’il ne sert pas à parler de la quête de la vérité mais annoncer qu’il EST la vérité, la possibilité d’un voyage s’éteint dans l’instant.

Il n’est pas inutile de répéter qu’il ne faut pas prendre les mots pour les idées mais il faudrait extraire l’idée derrière le symbole (le hiéroglyphe est un langage symbolique). Le professeur Arkoun disait qu’il ne faut pas confondre le signe et le signal : le signe est sujet à interprétation et à l’éveil, tandis que le signal induit l’obéissance et conduit vers l’idolâtrie et à une vision restrictive de l’infini vers le fini. Chacun de nous imagine l’infini, l’immensité du Cosmos à sa manière et en conséquence, en fait une représentation que l’on peut qualifier de blasphématoire (Le manque d’imagination a conduit certains peintres à représenter Jésus avec des yeux clairs, voire bleus, et peut-être à dessein).

R Benzine (voir réf 2 p 190-193) : A partir du moment où une doctrine est assimilée à la seule vérité et se transforme en vérité doctrinale sacrée, la violence n’est jamais loin, car cette vérité va vouloir devenir une obligation pour tous.

Mais depuis les philosophes des lumières, entre autres, il y a aussi « un devoir de raison » pour limiter cette violence, voire l’empêcher entre les différentes religions notamment.

            

  • Conclusion

Le sort de la foi et de la raison dépend de l’instruction et de l’éducation (Une volonté politique)

L’accès au savoir, et à la connaissance de l’Homme, de la nature et du cosmos, reste une volonté politique, même dans un contexte religieux.

En effet, la pensée Andalouse s’est développée par une volonté politique des Califats de l’époque (Abbassides en l’occurrence…), en encourageant la traduction de toutes les œuvres philosophiques des grecs (Platon et Aristote notamment). Averroès a bénéficié de cette période, jusqu’au moment où il est devenu gênant, à la fois pour les religieux et pour le pouvoir du Califat en place, et fut jugé comme hérétique. Il fut expulsé de l’Andalousie, et se réfugia à Marrakech où il est mort. En revanche sa dépouille a été transportée vers sa terre natale où il se repose pour l’éternité.

On peut être un homme de foi et scientifique

Les conflits entre science et religion sont « indéniables ». La condamnation de Galilée par l’Église, en 1633, en est l’exemple emblématique.

Averroès, Avicenne, Maimonide, Descartes, Pasteur et d’autres, étaient des grands savants, scientifiques, philosophes. Ils étaient également des hommes de foi et des croyants monothéistes abrahamiques et considéraient que les objectifs des sciences et des religions se trouvent sur des chemins parallèles pour se rejoindre à l’infini. L’Humanité par ses insurrections des consciences, la transgression positive, par ses capacités d’entendement et de discernement saura apprécier ce qui est du ressort de l’individu, du ressort de la dignité humaine et des progrès de l’Humanisme.

La foi véritable pourrait être dangereuse, pour les églises, entre autres ; car elle les prive de tout pouvoir sur ses fidèles. Les religieux  ont formaté Dieu à travers la religion et voudraient dicter leur foi au monde. Mais la forme imposée ne peut laisser place qu’aux croyances. La foi, quant à elle, se modèle de l’intérieur et n’est dépendante d’aucune forme extérieure, d’aucun dogme. On ne peut enseigner aux gens ce qu’ils ont dans leur cœur. C’est un peu comme si l’on tentait de vous enseigner l’amour, qui surgit toujours à l’improviste et sous une forme personnelle et inattendue. Le mot foi est essentiellement incompatible avec le mot religion. De toute évidence, on ne peut éveiller la foi à l’aide d’un mode d’emploi.

La foi échappera à la main mise technologique

Les développements des sciences « hard » et des sciences « soft », vont permettre, sans doute, une meilleure connaissance de la vision sur l’homme, et une autre vision sur la nature et le cosmos. Ces apports des transformations des visions vont permettre de modéliser la structure physique par des algorithmes le rendant plus performant d’un point de vue rationnel et en conséquence sur la raison. En revanche, la foi, cet aspect d’émerveillement de la transformation intérieure, profitera des progrès scientifiques et échappera sans doute à l’Uberisation.

Par ailleurs, la méfiance de certaines catégories sociales pour les élites, les progrès techniques et les principaux acteurs dénommés GAFAM, laissera des portes ouvertes pour que la croyance fasse foi, pour que le dogmatisme occupe ces espaces où l’Homme ne sent pas sécurisé ; et l’espoir que l’Homme découvre par soi-même la vérité de ce dogme, devient utopique.

Certes le nombre de populations augmente et avec un certain confort de vie, mais le conservatisme, le poids des croyances et des opinions continuent à constituer un contrepoids majeur pour le développement de l’humanisme, le progrès de la prise de conscience, de la liberté et de l’élévation spirituelle qui restent l’apanage des élites. Les pouvoirs politiques et religieux, ne sont pas prêts à favoriser le développement des consciences, par des instructions et des éducations convenables, sans oublier que la valeur travail reste un pilier pour la construction sociale et l’illumination des esprits humains.    

Foi et raison : l’encre continuera à couler

Il est surprenant de voir ces derniers temps, des pétitions pour réviser l’interprétation des textes, des livres révélés. Ne serait-il pas judicieux de changer l’homme, pour qu’il soit digne, responsable, libre et bénéficiant de sa liberté de conscience, pour être un homme de raison et un Homme qui maîtrise sa foi et ses propres conviction, et les mette au service de soi-même et au service d’une humanité meilleure.

Le dogmatisme, l’ignorance, les a priori entrainent volontairement ou involontairement, les uns à dire ce qu’il y a de mieux à faire pour les autres. Est-ce qu’ils acceptent eux-mêmes d’être endoctrinés ? d’être soumis aux pouvoirs des autres ? d’être à la merci des autres ? Eux, ceux qui ont fondé leur conviction et leur foi sur la croyance des autres.

Le débat sur l’inné et l’acquis, la nature et la culture, est donc loin d’être clos. Et pour l’avenir de l’humanité, il est sans doute souhaitable qu’il ne le soit jamais. Nous sommes aujourd’hui dans une phase du cycle, où le retour du biologique est patent, mais le propos ici n’est pas de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Certains progrès scientifiques, en médecine génétique et en neurobiologie, ont vocation à permettre des avancées thérapeutiques majeures, qui sont autant de promesses de progrès. Mais l’ouverture de la « boîte biologique » est à manipuler avec précaution. Une ingénierie biologique 2.0 qui réinventerait le social et l’humain, à travers la manipulation de nos données biologiques individuelles pourrait très vite dériver vers le plus effrayant du « meilleur des mondes ».

(http://theconversation.com/un-nouveau-biologisme-version-3-0-93404)

En dépit de tous les progrès, la foi et la raison restent sans doute deux colonnes qui permettent à l’homme de dépasser son état d’être, combattre son état d’inhumain et s’engager vers l’humain rationnel qui existe en lui et de marcher vers la vérité en toute liberté et en toute conscience, via un apprentissage approprié. Il doit rester vigilant à l’égard de l’opinion et de la croyance, génératrices de passions et de violence.

Je terminerai par cette note d’espoir de l’Ode d’ibn Al Arabi.

Auparavant, je méconnaissais mon compagnon

Si nous n'avions la même croyance.

A présent, mon cœur est capable de toute image :

Il est prairie pour les gazelles, cloître pour les moines,

Temple pour les idoles,  Kaaba** pour les pèlerins,

Tables de la Thora et livre saint du Coran.

L'Amour seul est ma religion,

Partout où se dirigent ses montures

L'Amour est ma religion et ma foi.

Saïd JAMAL

Voici les ouvrages utilisés durant cette réflexion :

1°- Le discours décisif d’Averroès. Traduction inédite de Marc Geoffroy (Edition GF-Flammarion)

2°-Des mille-et-une façons, d’être juif ou musulmans (Edition Seuil)

3°- La raison et la foi de Jean Marc Ferry (Edition Pocket)

4°- Les grands philosophes dans la revue Sciences humaines (Hores série spécial N°9)

5°- Autour d’Averroès – l’héritage Andalou #1 (Editions parenthèses)    

6°- Le moine et le philosophe de JF Revel & Mathieu Ricard (Edition Pocket)

7°- Emmanuel Kant. Le point hors-série sur les maîtres-penseurs. Avril-Mai 2017 N°22.

 

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