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Vers un nouvel humanisme

DES CRISES A LA RECHERCHE DES PROGRES !

VERS UN NOUVEL HUMANISME ?

« Les amis de la vérité sont ceux qui la cherchent et non ceux qui prétendent la détenir » Condorcet.

Pourquoi ce titre ? Parce que je crains que l’humanité souffre de deux grands maux : les mutations et les crises, avec une société de plus en plus inégalitaire, et assez curieusement souffre aussi du progrès, avec une incompréhension de notre futur.

1° LES CRISES ?

Toutes les époques, du moins depuis le XIXè siècle, aussi bien dans les périodes de croissance économique que de récession, ont été décrites en termes de crise, de déshumanisation, de fin des idéologies. Crise ? Un mot passe-partout ? Un mot fait de malaise, de crainte, de peur, et un mot qui n’explique rien !

« Ainsi tout est crise. L’intempérance des agioteurs, crise financière. Les stratégies cyniques sur hedge funds, crise obligataire. La valse des rachats de prêts, crise immobilière. Les jeux boursiers sur denrées agricoles, crise alimentaire. Les escroqueries dans l’élevage et l’abattage, crise sanitaire. La convoitise des actionnaires qui délocalisent, crise économique. La surexploitation des ressources naturelles, crise écologique. Les dégraissages pour accroître les dividendes, crise sociale. Les cadeaux fiscaux aux nantis, crise budgétaire » ( Christiane Taubira, 2017)[1].

Ces crises sont liées aux contradictions de notre système économique, d’une politique qui continue à prôner une croissance économique illusoire, d’un capitalisme qui veut imposer dans l’économie du marché toutes les activités humaines comme activités marchandes et qui veut privilégier l’intérêt privé tant sur le plan social qu’écologique.


La libéralisation des échanges était considérée apporter la prospérité, dans les pays développés mais aussi ceux en voie de développement. Mais les traités économiques ont largement été inégaux et ont été considérés comme une nouvelle méthode d’exploitation des pays pauvres par les pays riches. Le modèle néo-libéral «c’est l’austérité pour les pauvres et la générosité pour les nantis, … la rhétorique du libre marché n’est manifestement qu’une façade, dissimulant un programme politique qui consiste … à réduire les impôts des riches et les prestations sociales des pauvres »[2]  

Le néolibéralisme prétend que les pays riches doivent devenir encore plus riches pour que les pays pauvres puissent éventuellement devenir un peu moins pauvres. Un beau conte pour enfants !

Même si le marché économique se doit de créer de la richesse, ce serait une erreur de respecter la pensée unique « moins d’Etat, c’est mieux » et de baser la politique uniquement sur l’accumulation de richesse. «Cela devient inquiétant quand, à force de répéter qu’il y a trop d’Etat, la tentation finit par naître, dans certains esprits, qu’il n’y ait plus qu’un Etat minimum, strictement cantonné dans ses fonctions régaliennes d’administration, de justice, de police et de diplomatie, et qui, pour toutes les autres questions, c’est-à-dire, en temps de paix, pour la plupart des questions vraiment importantes, laisserait fonctionner les fameux mécanismes autorégulateurs du marché. … Ne devons- nous pas penser qu’il y a des choses qui ne sont pas à vendre (la vie, la santé, la justice, la liberté, la dignité, l’éducation, l’amour), on ne peut pas tout soumettre au marché: il faut résister à la marchandisation de toute notre vie, aussi bien individuellement (c’est le rôle de la morale et de l’éthique) que collectivement (c’est le rôle de la politique). Les trois sont nécessaires. Mais, à l’échelle de la société, c’est la politique qui est la plus efficace : nous avons besoin d’un Etat pour organiser la part non marchande de la solidarité, pour veiller exactement à ce qui n’est pas à vendre » (Comte-Sponville, 1995)[3].

L’économie du marché et le néolibéralisme gangrènent les activités humaines, aussi bien sur le plan social qu’écologique. L’éthique du progrès doit repenser notre relation à l’environnement au niveau de chaque être humain, mais également en tant qu’humanité. Il s’agit de préserver nos écosystèmes: c’est notre « village global » qui est en danger. On essaie de nous tranquilliser avec une croissance verte, mais, en réalité, il nous faudra inventer un nouveau paradigme avec un changement profond de société et une remise en cause totale des pouvoirs du marché. Le « tout à l’économique » et à la croissance est un leurre. La conscience disparait dans le consumérisme, elle a perdu son être dans la recherche de l’avoir. Il nous faut rester nous-mêmes et ne pas s’affairer à gagner en avoir ce que nous pouvons gagner en être.

Pouvons-nous vivre heureux dans une société du « tout à l’économique » et dans un monde de consommation ? Nous sommes en recherche d’une vie intérieure épanouissante, où nous pourrions déployer nos potentiels humains. La recherche de sens doit se réaliser ici et maintenant dans le cadre d’une société en mutation.

La crise du modèle de croissance est aussi celle des conditions matérielles du dépassement des injustices sociales. La lutte des laissés pour compte de nos sociétés, à savoir les « sans » (sans travail, sans toit, sans accès aux soins, sans papiers, sans terre …), émerge et se développe. Ce que le devenir des « sans » nous révèle, c’est que le système-monde n’est plus défendable, que l’on démantèle la sécurité sociale et les services publics au profit des nantis et des véritables décideurs à savoir les marchés financiers, et qu’on essaie d’y imposer une discipline. On essaie de suppléer l’absence de promesse avec du contrôle. Des moyens colossaux sont prévus pour la sécurité, y aura-t-il autant de moyens pour l’éducation, la culture ? Ne faut-il pas s’inquiéter de l’injustice, de l’inégalité à l’origine d’exclusions, qui elle-même est à l’origine de violence ?

Ne faut-il pas nous interroger en 2021 sur le fait que l’enseignement, l’art, la culture, sont considérés comme des activités non rentables ? N’aurions-nous toujours pas compris que nous devrions donner à notre jeunesse une vision positive de la société ?

Toutes ces crises doivent donc nous émouvoir dans une recherche du progrès de l’humanité.

2° RECHERCHE DES PROGRES

Précisons donc que pour parler de progrès, il faut d’abord qu’un niveau minimum de qualité de vie existe, ne fut-ce qu’au niveau alimentation et d’hygiène ? Peut-on philosopher le ventre creux ? Et se livrer aux activités désintéressées de l’art et de la culture ? En ce sens le progrès technique peut agir sur le progrès moral en permettant plus de sécurité, en proposant une vie plus aisée et donc en offrant une vie plus dignement humaine.

Ce n’est qu’au siècle des Lumières que l’on a commencé à parler de Progrès (avec un P majuscule). Il est vrai qu’à la fin du XVIIIème siècle avec Kant, et aussi tout au long du XIXème siècle, les philosophes ont considéré que le progrès scientifique entrainerait le progrès social et moral ainsi qu’un état de liberté, de justice et de paix. Condorcet, notamment, avait confiance dans le progrès et la perfectibilité de la raison humaine. Il est clair que l’idée des Lumières suggérant que les différentes formes de progrès se succèderaient automatiquement n’est plus acceptée: le progrès technologique n’engendre pas nécessairement le progrès matériel, qui seraient suivis des progrès éthiques, politiques et civilisationnels. A partir du moment où, en Europe, les Eglises ont vu faiblir leur magistère et leur pouvoir, sciences et progrès sont devenus synonymes. C’était trop illusoire, mais cela ne justifie pas l’excès opposé. L’optimisme des Lumières est aujourd’hui menacé par des inquiétudes et des peurs, par un sentiment pessimiste, par du catastrophisme, voire même par de la collapsologie. La fin de la conviction de confiance, propre aux Lumières, n’autorise cependant pas à fermer les yeux sur les progrès scientifique et technique ininterrompus, d’une meilleure connaissance du monde, de progrès considérables en médecine par exemple.

Au niveau moral et sociétal, des avancées non négligeables ont été observées, comme la fidélité aux Droits humains, la liberté politique, le respect des autres cultures. Evitons à ce niveau le relativisme culturel, la déclaration des Droits de l’Homme doit être assimilée à un bien commun ouvert à toutes les cultures. Nos sociétés se tournent de plus en plus vers l’éthique. Nous ne sommes pas devenus plus vertueux, mais l’éthique passe beaucoup plus souvent dans nos discours. Autrefois la morale semblait répressive et culpabilisatrice. Aujourd’hui, face à des problèmes sociaux, nous réagissons par des réponses éthiques, telles que Restos du Coeur, Médecins sans frontières, … Mais, cette éthique de type humanitaire ne peut tenir lieu de politique, ce ne sont pas ces ONG, aussi positives que soient leurs actions, qui solutionneront la misère et le chômage. La politique doit prendre le pas sur l’économique, et ne peut être inféodée aux forces économiques.

Il est donc important que le citoyen puisse choisir de manière informée, délibérée et responsable. « Il faut des informations claires, libres, ce qui s’avère aujourd’hui difficile avec le trop-plein d’informations, leur rabâchage en boucle, leur mélange avec de multiples spots publicitaires, ou des faits divers minuscules. Si l’on veut une expression réellement démocratique, l’information doit bien sûr être libre, et ne doit pas être simplement quantitative ni superficielle » (Yves Bannel)[4]. Les médias se réduisent cependant de plus en plus à la narration d’accidents, de crimes, de télé-réalité et se préoccupent de l’apparence superficielle. Les actualités démoralisent en offrant une image perverse de la réalité. Les médias se chargent de diffuser des charges émotionnelles (ce que Jean-Jacques Jespers appelle l’émocratie), ce qui perturbe considérablement nos approches rationnelles. Nous sommes de plus en plus dans une émocratie, où les émotions sont au pouvoir et où les sentiments prennent le dessus sur la raison.

En fait, le débat politique actuel se déplace d'une argumentation basée sur des faits objectifs vers une subjectivité émotive. Jean Semal[5] parle d'une post-vérité, à savoir une situation où les faits objectifs comptent moins que l'émotion. L'opinion publique est modelée de manière croissante par des réseaux sociaux et leur émotivité. On dénigre de plus en plus les experts, les scientifiques, la presse, « l’establishment ».

Ne devrions nous pas atteindre par la raison un meilleur contrôle de ces émotions et des peurs irrationnelles. Il faut donc pouvoir reconnaitre ces émotions, les décrypter et se méfier de la tendance des médias à accentuer les sentiments de peur et d’angoisse. Honoré de Balzac disait déjà « pour empêcher les peuples de raisonner, il faut leur imposer des sentiments ».

Nous devrions replacer l’être humain au centre du débat, et réfléchir au principe « au progrès de l’humanité ». Ce serait trop simple d’avoir une route tracée vers une humanité meilleure. Nous devons cheminer vers le progrès mais sans connaître les portes de cet avenir meilleur et sans en avoir les clefs. Si nous refusons le meilleur des mondes, il ne faut pas refuser un monde meilleur.

En termes de progrès, Condorcet écrivait dans Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain « nos espérances sur l’état à venir de l’espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points: la destruction de l’inégalité entre les nations, les progrès de l’égalité dans un même peuple, enfin, le perfectionnement réel de l’homme ».

N’est ce pas que ce nous devrions signer encore aujourd’hui ? Il ne peut y avoir progrès si nous ne développons pas une maîtrise de la destinée humaine collective et du bien collectif. Si nous entendons que nos systèmes de valeurs démocratiques survivent, il faut que nous prenions notre destin en main. Nous avons besoin de réinvestir nos valeurs de liberté-égalité-fraternité, de s’engager pour elles personnellement et collectivement, chacun à la place qui est la sienne dans la vie sociale.

Dans une philosophie de progrès de l’humanité, nous nous devons de rester optimiste et d’œuvrer à relier les êtres humains dans plus de fraternité. Il nous faut promouvoir un vivre ensemble et accepter de vivre dans un village global avec des personnes qui ne pensent pas nécessairement comme nous. C’est notre tâche, car si nos lois pourraient imposer plus de justice et moins d’exploitation économique, elles ne pourront imposer plus de fraternité et de solidarité. Nous devons encourager, où qu’ils se manifestent, les progrès d’organisation sociale et politique. Ils doivent stimuler une conscience collective, dénoncer les hypocrisies, stigmatiser l’égoïsme.

Les êtres humains ont toujours eu une faculté de progresser, nous devons stimuler ces facultés, minimaliser les intérêts égoïstes des individus et des groupes et les luttes qui en découlent, de nous élever sur le plan des valeurs de liberté, de justice, de fraternité humaine.

Nous ne pouvons donc abandonner l’idéal du progrès universel et doivent le lier aux idéaux de justice, de liberté, d’égalité ainsi qu’à la volonté politique de promouvoir ces progrès pour toute l’humanité en luttant contre les régimes non démocratiques et contre les contraintes irrationnelles.

Et donc ne devons nous pas rechercher un nouvel humanisme ?

3° VERS UN NOUVEL HUMANISME ?

Nous vivons une période de mutations profondes ! où les revendications que nous entendons sont des symptômes du fait que les citoyens demandent de modifier ce que la mondialisation impose à nos sociétés à savoir une lutte contre les inégalités, à savoir empêcher le démantèlement des services publics (de la santé publique à l’enseignement, des soins aux personnes âgées à l’aide aux migrants). Le danger se situe lorsque le citoyen a l’impression qu’il ne peut plus contrôler les institutions politiques, car alors il aura tendance à s’en éloigner et à s’en désintéresser. « Au fond, il est question de reformuler une promesse, celle d’un monde meilleur. Cette promesse n’existe plus aujourd’hui car plus grand nombre ne croit à un monde meilleur. Et c’est dramatique pour nos sociétés, qui ne peuvent survivre longtemps dans ces conditions ». (Pascal Labille)[6]. Comment peut-on vivre dans un contexte de morosité permanente ?

Nous vivons une période de mutations profondes ! avec un espace élargi, une mondialisation marchande, mais aussi une mondialisation de l’humain, un habitat devenu plus urbain, des problèmes écologiques mondiaux. Nation, peuple, Eglise, classe et peut-être même famille sont en passe de devenir des abstractions, remplacées par des réseaux sociaux « d’amis » parfois virtuels.

« Il faudrait être aveugle … pour ne pas voir que c’est notre société dans sa tumultueuse totalité … qui est emportée dans une singulière mutation, une sorte de révolution au double sens du terme, techno-scientifique et politique, dans laquelle, de bon ou de mauvais gré, tout est embarqué, impliqué, une sorte de grand dérangement qui dépasse de loin le changement provoqué par ce que l’ère néo-libérale appelle la mondialisation » (H. Nyssen 2004)[7]

Il nous faut donc tenir compte des mutations que notre société est en train de vivre. Peut-être vivons-nous une nouvelle révolution sociétale, aussi importante que la révolution néolithique et la révolution industrielle. Il nous faut inévitablement tenir compte de ces mutations et adapter nos valeurs à cette nouvelle situation.

La dignité de l’être humain ne doit-elle pas être liée à la capacité d’être conscient et à la recherche de la rationalité. Nous aurons besoin d’une nouvelle Renaissance, et pas d’un nouveau Moyen Age. Sciences et humanisme, sciences et philosophie doivent se combiner pour épanouir l’humanité.

Comme la barrière métaphysique entre le monde terrestre et l’espace céleste s’est estompée avec Galilée, la différence métaphysique entre l’homme et l’animal avec Darwin, les barrières métaphysiques entre processus conscients et inconscients avec Freud, la barrière entre humain et non-humain s’estompe avec les techno-sciences. Et donc, la question fondamentale « Qu’est-ce que l’être humain » devient aujourd’hui « quel type d’êtres humains allons-nous construire ? ». L’absence d’essence de l’être humain l’ouvre à tous les possibles, comme le montre aussi bien l’évolutionnisme darwinien que l’existentialisme sartrien. Mais l’être humain nouveau doit rester humaniste (doit continuer à penser, à être critique, à rester en rupture avec les traditions).

La liberté de l'individu doit rester une conquête précieuse de nos sociétés, elle devrait nous pousser à devenir des citoyens actifs, soucieux des autres. Pour Gandhi, « la liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nous-même ». Être libre, c’est donc être maître de soi-même, c’est se libérer des tendances liées à la tyrannie de nos habitudes. Etre libre, c’est prendre sa vie en main.

Comme héritiers des Lumières, nous nous devons de faire confiance au progrès, tout en étant critiques vis-à-vis des difficultés que ces progrès peuvent poser. L’humanisme est un mélange de tradition et de recherche de progrès, elle permet d’insuffler de l’éthique dans les débats publics et d’approcher l’inaccessible idéal de liberté, d’égalité et de fraternité. Ne nous laissons pas déposséder de nos valeurs ! Profitons de ces crises pour re-dynamiser les valeurs humaines, favoriser le système éducatif et l’éducation permanente, orienter le progrès vers le bien-être et vers le qualitatif plutôt que le quantitatif.

En termes politiques, «  L’Europe a plutôt vaincu ses monstres, l’esclavagisme a été aboli, le colonialisme abandonné, le fascisme défait, le communisme mis à genoux. Quel continent peut afficher un tel bilan ? … Au bout du compte la liberté a plutôt triomphé de l’oppression, ce pourquoi on vit mieux en Europe que dans beaucoup d’autres continents »[8]. La peur de recommencer des erreurs du passé perturbent parfois nos raisonnements et nous tend à rester indifférent ou indulgent à l’égard des infamies contemporaines de l’extrême-droite.

L’accumulation des crises génère des peurs, des angoisses qui nourrissent les partis populistes ou d’extrême droite, toujours prompts à proposer des solutions simplistes et à rejeter des boucs émissaires faciles.

En termes politiques aussi, citons Antonio Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ». Les politiques anti-Lumières font un retour en force, on peut affirmer sans amalgames qu’elles entretiennent des liens intellectuels avec le nationalisme et l’extrême droite.

Actuellement, chez les adversaires radicaux des Lumières existe une tendance à s’opposer à l’universalisme, aux droits humains, à l’aspiration à la démocratie, à l’utilisation de la penseé rationnelle. Les Lumières mettent l’accent sur ce qui est commun à tous les hommes, ce à quoi les anti-Lumières opposent le culte de tout ce qui distingue et sépare les hommes, notamment la culture, l’ethnie, la langue…

Les mouvements populistes et d’extrême droite sont de plus en plus présents dans le panorama européen, et font parfois partie des coalitions au pouvoir. De plus les idées extrêmes se répandent aussi dans les partis traditionnels. Aucun pays européen n’est immunisé contre ce fléau. La montée des populismes, c’est l’expression d’un formidable ressentiment des classes populaires. La société néo-libérale ne réenchante pas le monde.

Les anti-Lumières rejettent donc la politique basée sur la liberté de conscience, la liberté politique liée aux droits humains. Ils profitent de nos crises et des mutations de nos sociétés pour proposer des réponses démagogiques, où on oppose peuple et élites. L’establishment est rejeté. On propose aussi un régime où la souveraineté du peuple se réalise par l’intermédiaire de leaders qui prétendent représenter ce peuple, un peuple supposé homogène rejetant l’immigré et le réfugié.

Les anti-Lumières se nourrissent donc d’une fatigue à l’égard de nos institutions démocratiques. Nous savons que la démocratie peut être fragile et doit donc être constamment défendue. Nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité en dépendent. Et lorsque les droits fondamentaux sont menacés, disons avec Stéphane Hessel « Indignez-vous ! ».

ESSAYONS DE CONCLURE

1) N’avons nous pas tendance à nous endormir, car notre société de consommation nous conduit à nous éloigner de la culture et nous propose une sorte de léthargie intellectuelle. Nous devons stimuler une (nouvelle) culture : une culture qui n'abandonnerait pas les repères classiques et anciens, mais qui y ajouterait les réflexions de nos savoirs scientifiques, sur l'adaptation de nos sociétés aux évolutions scientifiques, sur la construction de valeurs sociales dans ce monde en voie de bouleversement, sur l’insertion de nos individualismes dans une nouvelle conscience globale et dans une perspective de progrès de l’humanité.

Renoncer au meilleur des mondes n’est pas renoncer à un monde meilleur. L’individualisme n’exclut pas le souci du collectif: ainsi, se développe de plus en plus le souci des générations futures et du développement durable. L’individualisme dans nos sociétés n’est donc pas contradictoire à des réflexions collectives, à un sentiment humanitaire, et à une politique humaniste globale en dehors du capital mondialisé. La mondialisation pourrait être aussi un élargissement de la solidarité, dans l’espace, à toute l’humanité, et dans le temps aux générations futures. L’être humain pourrait devenir plus responsable, avec une conscience plus universelle. Mais travailler au progrès de l’humanité  exige aussi d’analyser de l’état du monde actuel.

Avec les réseaux sociaux on dit que la parole est libérée, en fait elle s’est encagée et les réseaux sociaux deviennent relais de violence. Si nous ne réagissons pas, les mots de haine diffusés par ces réseaux sociaux créeront un environnement qui rendra possible des actes de haine. Partout en Europe, des groupes conservateurs expriment sans retenue leur rejet de l’Etat de droit et leur justification de la violence, ils rompent les cordons sanitaires vis-à-vis des partis d’extrême droite et ils se compromettent dans des dérives dangereuses.

2) L’élément central de nos actions reste, me semble-t-il, l'éducation. On ne peut échapper à un débat sur l’éducation: dans la mesure où après 12 ans d'études, nous avons formé peut-être de bons élèves mais probablement pas des citoyens ayant réfléchi à la philosophie et à l'avenir de nos sociétés démocratiques. Notre enseignement est-il adapté à la modernité ? et après 12 ans d'études, l'éducation est-elle terminée ? Je reprendrais ici une phrase de Marcel Voisin répondant à la phrase de Malraux sur ce que sera le XXIème siècle : « Je ne sais pas ce que sera le XXIème siècle, mais je sais ce qu'il devrait être : il devrait être celui de l'éducation du citoyen ». Les politiques en sont-ils conscients ? Ne se contentent-ils en fait de relayer les ordres qui leurs viennent de la seule logique comptable ? Et cependant, nous avons besoin, plus que dans le passé encore, d’un système éducatif capable de faire apprendre à apprendre, couplé à une formation permanente tout au long de la vie.

Une des premières actions reste donc celle de l’enseignement, de l’éducation et du développement culturel, éléments éternels de perfectionnement individuel.

« Les analphabètes du XXIème siècle ne seront pas ceux qui ne peuvent lire ni écrire, mais ceux qui ne peuvent apprendre, désapprendre, réapprendre » (Edgar Morin 2016)[9]

Pour accéder au progrès il est temps, tout en regardant à l’intérieur de nous, de regarder les yeux ouverts le factuel, ce qui est, tel qu’il est. Pour accéder au progrès, il nous faut, plus que dans le passé encore, faire une symbiose de philosophie et de sciences, d’analyses sociétales teintées de nos valeurs.

L’humanisme doit continuer à s’édifier sur l’intelligence, le sens critique, le libre examen, la démocratie, l’éducation : les progrès de l’humanité ne peuvent être que l’accumulation d’améliorations progressives. Nous sommes toujours inachevés et toujours perfectibles.

Mondialisation ou pas, techno-sciences ou pas, mettons-nous au moins d'accord sur notre véritable devoir, à savoir poursuivre nos efforts de connaissance, de construire un monde meilleur, d'améliorer la société, de vivre dans la dignité et dans l’intelligence. La dignité humaine est sa liberté et son autonomie, c’est sa faculté de transformer le monde et surtout de se transformer lui-même.

Notre nouvel humanisme doit oser penser, oser remettre en cause des concepts conformistes, oser exercer son propre jugement et donc oser remettre en question ses propres références. La société doit aussi oser évaluer ses principes éthiques à la lumière des réalités scientifiques du XXIème siècle.

Oui mais oser penser est dangereux ! car c’est sortir des chemins balisés , renoncer aux certitudes, dénoncer les impostures, rejeter la fidélité aux traditions. Le savoir, ou en tous les cas la recherche du savoir, ressort de l’éthique.

 

[1] Christiane Taubira, 2017. Nous habitons la Terre. Ed. Philippe Ray

[2] Joseph E Stiglitz 2003 Quand le capitalisme perd la tête. Fayard

[3] Comte-Sponville A. 1995 Petit traité des grandes vertus, Paris, P.U.F.

[4] Yves Bannel 2016 L’humanisme reste-t-il un concept d’actualité ? Ed. Tèlétes

[5] Jean Semal 2017 Poléthique et post-vérité. Memogrames

[6] Pascal Labille 2019 « Noir, jaune, blues et après? » voyage dans un archipel. Dans Les nouvelles chaînes de Prométhée. Ethique des Progrès. ED. Charles Susanne Memogrames.

[7] H. Nyssen 2004 Lira bien qui lira le dernier. Espace de Libertés

[8] Pascal Bruckner 2006 La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental. Grasset

[9] Edgar Morin 2016 La voie. Pour l’avenir de l’humanité. Pluriel

 

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