Pour une éducation humaniste

Notre société est devenue dure, l'humain semble y perdre de plus en plus de sa valeur. Cette évolution est particulièrement sensible chez les jeunes. On peut penser qu'il y a là un effort à faire dans le domaine de l'éducation. L'idée serait de faire évoluer le système de formation de la jeunesse pour donner à nos enfants une meilleure éducation, et cela incite à plaider pour une éducation humaniste[1]. Mais les influences politiques et sociétales qui s'exercent sur l'Enseignement, obligent à voir plus large et à rechercher les voies susceptibles d'engendrer une évolution vers une société humaniste par l'éducation.

 

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En premier lieu il est nécessaire de préciser ce que devraient être des principes humanistes d'éducation, en se fondant sur une redéfinition de l'humanisme.

Aujourd'hui et pour l'avenir, il est possible de redéfinir l'humanisme comme l'attitude éthique prenant pour déterminant de tous les actes, de toutes les réalisations, de toutes les lois, ce qui est bon pour l'être humain, et en même temps bon pour l'humanité dans son ensemble et pour son avenir. Tous les actes doivent avoir une finalité humaine. L'éducation de la jeunesse est la condition indispensable d'une évolution de l'humanité dans le sens d'un humanisme éclairé. À partir d'une culture centrée sur les sciences et la connaissance de l'être humain, comportant une ouverture sur la pensée philosophique, les lettres et les arts, il s'agirait de former des citoyens libres, égaux en droits et conscients de leur fraternité en l'espèce humaine.

Une éducation humaniste doit partir de la conception humaniste de l'être humain. L'humaniste considère qu'on ne naît pas homme mais qu'on le devient ; pour lui, l'homme est moins un produit de la nature que la construction d'une culture. L'humaniste est convaincu que pour être véritablement homme on doit apprendre à penser par soi-même et enfin que l'être humain est seulement ce qu'il devient, et qu'il ne devient que ce qu'il se fait[2].

La conception humaniste de l'éducation part de la volonté de réaliser l'épanouissement de la nature de l'enfant et de la volonté de développer ses aptitudes à la créativité. Elle n'impose aucune idéologie et préfère conduire au comportement civilisé par l'apprentissage plutôt que par le conditionnement[3]. Enfin elle prend pour premier objectif l'adaptation à la vie, plus importante que la préparation à une profession, qui ne doit intervenir qu'en second lieu après l'acquisition d'une culture générale et citoyenne, de base.

Une éducation conçue à partir des idées issues de l'humanisme de la Renaissance et des Lumières consisterait à accompagner comme l'éclosion d'une plante... à former un être libre, ne recherchant ni l'accumulation des biens ni la domination des autres, mais la libre association dans un esprit de partage et de solidarité. Dans cette optique, l'éducation doit être fondée sur une connaissance de l'enfant, que l'humaniste considère comme un être doté d'une nature propre. En conséquence, l'éducation doit être animée par l'esprit de respect face à ce que l'homme a de sacré : sa personnalité, son impulsion créatrice. Elle aura pour objectif d'en faciliter l'épanouissement en assurant à l'élève un environnement complexe et stimulant.

Le résultat des méthodes autoritaristes d'enseignement est de limiter la compréhension et la créativité. Il faut avoir conscience de notre ignorance par rapport aux objectifs et aux finalités de la vie humaine. C'est pourquoi l'éducation ne saurait avoir pour fonction d'orienter l'enfant vers telle ou telle fin fixée d'avance. Elle doit au contraire laisser libre cours à l'élan vital et favoriser le développement d'une personnalité originale et dynamique.

Une éducation humaniste doit donc avoir le souci de développer la créativité. Par exemple, pour former aux mathématiques, il ne suffit pas d'entraîner l'élève à résoudre des problèmes proches de ceux dont on a enseigné la méthode de résolution. Il faut le confronter à des problèmes toujours nouveaux, pour le rendre apte à gérer des situations inédites. Le résultat des méthodes autoritaristes d'enseignement est de limiter la compréhension et la créativité en faisant surtout appel à la mémoire et à la reproduction de modèles. La conception humaniste de l'éducation veut que l'on garantisse aux enfants l'environnement le plus stimulant, en laissant libre cours à l'impulsion créatrice de chacun.

L'éducation des enfants doit cependant les préparer à vivre en société, leur apprendre des attitudes et des comportements civilisés, c'est-à-dire : aboutir à un certain contrôle des comportements. Mais attention ! La pratique éducative tend à transmettre les opinions qui ont cours dans la société, les idées conformes à l'idéologie dominante ainsi que les attitudes et les comportements qui en découlent. L'endoctrinement idéologique des enfants est la pire des formes de contrôle du comportement. Le procédé le plus élémentaire pour endoctriner, consiste à doter l'enseignant d'un cahier lui expliquant comment susciter les bonnes réponses. Un enseignement humaniste devrait non seulement éviter aux enfants l'endoctrinement, mais aussi leur apprendre à y résister.

Le conditionnement est une autre tentation offerte aux éducateurs pour obtenir des attitudes intellectuelles et des comportements conformes. Des techniques de conditionnement en vue du contrôle existent. Le conditionnement consiste à associer artificiellement le type de comportement recherché à un sentiment de satisfaction, obtenu par des moyens ressortissant à l'action psychologique, voire à l'intoxication ou au matraquage, des procédés qui mettent l'individu en dépendance à son insu.

L'enseignant pourrait aussi être tenté par une attitude neutre. Toutefois la neutralité ne sera pas sans conséquences, politiques autant que pédagogiques, si elle conduit à refuser tout contrôle du comportement. Car il reste indispensable de contrôler le comportement. Mais pour un éducateur humaniste, il est nécessaire d'aller vers des processus d'apprentissage qui ne soient pas du conditionnement. L'apprentissage consistera à proposer la recherche spontanée d'un comportement répondant naturellement et raisonnablement à la situation expérimentée. L'apprentissage se fait en réagissant à une situation donnée par une action adaptée, sans qu'il soit nécessaire de conceptualiser ce qui est appris par l'expérience.

Dans notre société, l'école se donne pour vocation de former de futurs professionnels. Pour cela elle enseigne l'acceptation des valeurs et des structures idéologiques de la société postindustrielle. Dans cette société, la valeur de l'être humain se mesure à ce qu'il possède. Or, les procédés les plus efficaces pour acquérir et posséder ne sont pas le travail, mais les tractations financières, les affaires, voire les combines. Résultat : déjà tout jeune, l'individu répugne au travail, il cherche le moyen le plus rapide et le moins pénible lui permettant d'obtenir ou de se procurer de l'argent, pour sa consommation et ses plaisirs. Dans ces conditions, il serait hypocrite de parler de joie dans le travail.

L'éducation devrait donc amener les jeunes à une conception saine du travail humain. Le travail est un besoin vital, pour l'individu comme pour la société. L'homme ne peut vivre qu'en société, et le travail est à la base de la civilisation et du progrès des sociétés. C'est par son travail, en se rendant utile et en prenant une place dans l'édifice social, que l'individu gagne sa dignité. Celui qui ne travaille pas vit en parasite du travail des autres.

Une théorie éducative humaniste devrait se fonder sur une approche libertaire du concept clé de la nature du travail. Ce que l'homme ne choisit pas de lui-même ne s'identifiera jamais avec son être. Au lieu de contraindre l'homme à travailler, il conviendrait de l'y inciter en rendant le travail plaisant et créatif en même temps que productif. Il faudrait pour cela procéder de façon continue à une orientation du jeune en rapport avec ses goûts et à sa sélection en fonction de son talent, de façon à le faire entrer à l'issue de ses études dans un emploi où il se sentirait à sa place.

Ceci est évidemment un objectif utopique. Mais la cohésion et l'harmonie de la société y gagneraient, si le travail était compris comme une fin et pas seulement un moyen, et si les éducateurs prenaient le contre-pied de l'opinion selon laquelle le travail est une marchandise qui n'a d'autre valeur que de permettre la consommation.

Les principes humanistes d'éducation devraient ainsi viser à détecter les goûts et les aptitudes de chacun pour les cultiver. L'éducateur ne se contenterait pas d'être écouté, il s'efforcerait de provoquer l'expression de ses élèves par la parole, l'écrit et l'expérience pratique. Plutôt que de faire imiter des modèles il proposerait de s'inspirer d'exemples. Au lieu d'enseigner des règles, il ferait trouver les comportements répondant à des situations choisies. Enfin, il donnerait la priorité à l'acquisition d'une culture générale de base et mettrait en œuvre un processus continu d'orientation-sélection pour conduire le jeune à entrer dans la vie active, dans un emploi correspondant à ses goûts et à ses aptitudes.

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L'éducation est soumise à des influences politiques et sociétales. Les formes du régime politique, de l'organisation économique et des relations sociales, déterminent la culture et par là le statut du travail qui à son tour oriente l'éducation.

Les fondateurs du libéralisme classique, tels qu'Adam Smith[4], considéraient comme valeur suprême de la vie humaine le travail créatif, librement entrepris en association. Les théories qui poussent les individus à se vendre sur le marché du travail, ainsi que la division des tâches qui rend les hommes aussi stupides qu'il est possible, trahissent ces valeurs. La tradition issue des Lumières, celle des fondateurs du libéralisme classique, incite à défendre la liberté et la justice contre le nouveau despotisme patronal soutenu par l'État. Une société démocratique et libertaire devrait libérer les individus de leur rôle d'outils de production, et créer des formes sociales humanistes, dégageant les êtres humains du joug de la spécialisation.

Dans une société plus juste, le but ultime de l'éducation serait la production d'êtres humains libres, associés les uns aux autres sur un pied d'égalité. Cela à contre-courant des deux principales théories sociales : celle de la société d'économie collectiviste planifiée et celle de la société d'économie capitaliste libérale. Les deux sont en fait farouchement hostiles à la théorie libertaire enracinée dans les valeurs des Lumières, dont la thèse centrale propose que l'organisation de la production n'ait pas pour but ultime de produire des marchandises, mais de fournir leurs moyens de vivre à des hommes libres, associés sur un pied d'égalité.

Dans nos démocraties on assiste à l'émergence d'une nouvelle forme d'absolutisme. Les nouveaux aristocrates, comme les anciens, craignent le peuple et veulent lui retirer tous les pouvoirs au profit des classes supérieures. On assiste à une évolution qui tend à éloigner du peuple les centres de décision : limitation des prérogatives des pouvoirs locaux, régionaux, nationaux, accroissement corrélatif des pouvoirs des instances européennes et mondiales. En même temps que l'on éloigne le pouvoir du citoyen, on le soustrait au contrôle démocratique en le confiant pour l'essentiel à des technocrates, à des experts et à des personnalités cooptées, ne détenant aucun mandat du peuple. Les aristocrates sont partisans d'un État libéral et ils s'emploient à pervertir la démocratie pour établir le pouvoir des institutions économiques capitalistes. Seule une éducation formant des êtres humains libres serait susceptible de contrecarrer cet absolutisme monstrueux.

La Société d'économie capitaliste impose à l'éducation de préparer les jeunes à entrer sur le marché du travail, c'est-à-dire à se vendre pour gagner leur vie. En outre, le système économique capitaliste exige la « flexibilité de l'emploi sur le marché du travail » c'est-à-dire l'insécurité de l'emploi. Ces impératifs ont une double répercussion sur l'éducation des jeunes. Non seulement l'éducation est orientée dans le sens le plus utile au pouvoir économique, mais le temps que les parents accaparés par les impératifs de l'emploi passent avec leurs enfants, diminue. Chez les jeunes, l'alcoolisme, la toxicomanie, la violence, augmentent et le Q.I. baisse.

La société capitaliste post-libérale a réussi à imposer de renoncer aux sentiments humains, pour entrer dans le « nouvel esprit du temps » : toute-puissance de l'argent, glorification des grandes fortunes, gagnées par les « affaires », le spectacle, le sport... légitimation de l'élimination de l'autre par la compétition, dévaluation du travail en général, y compris du travail intellectuel, et dévalorisation particulière des travaux industriels et agricoles.

Le résultat chez les gens du peuple, astreints aux travaux dévalorisés de la production, est une perte de dignité et d'estime de soi, et pour l'ensemble de la société c'est le recul de la Culture. Celui qui vend son travail perd sa liberté. Dans une société libertaire, les employés devraient être copropriétaires de leur entreprise.

L'organisation de la société post-libérale a placé le pouvoir économique hors du champ de la démocratie. La politique n'est que l'ombre projetée du grand capital sur la société ; une ombre qui masque le véritable acteur. À défaut de pouvoir faire pression sur les multinationales et les sociétés d'investissement, le seul rouage du système sur lequel le peuple ait prise est le gouvernement. C'est donc dans la contestation des autorités politiques que se cristallisent les luttes sociales, mais cela explique aussi leur faible efficacité. Le changement ne pourrait provenir que d'une conversion de la mentalité des élites de la société, sil elles étaient formées par une éducation humaniste.

Les Influences politiques et sociétales qui s'exercent sur l'éducation, poussent à préparer exclusivement la jeunesse à l'entrée sur le marché du travail ; un travail par ailleurs dévalorisé par rapport au « bizness », magnifié alors qu'il est générateur d'immoralité et de délinquance. La marchandisation du travail, dont la valeur est ramenée au pouvoir de consommer qu'il procure, traduite par la flexibilité de l'emploi avec l'insécurité et le stress qu'elle génère, conduit le travailleur à la déconsidération de soi. Enfin l'irresponsabilité des décideurs politiques, astreints à se faire les exécutants des décisions du « marché », met la majorité des citoyens qui vivent de leur travail, dans une totale impuissance à infléchir leur destin.

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En vue d'un avenir meilleur, il faudrait provoquer par l'éducation une évolution vers une société humaniste. Pour faire évoluer la société dans un sens humaniste, l'éducation devrait préparer tous les jeunes, mais plus spécialement ceux qui sont destinés à devenir les élites dirigeantes, aux valeurs de l'humanisme et de la démocratie. Il serait nécessaire de réaliser l'unité du système éducatif, de préférer les méthodes libertaires à l'autoritarisme et à l'endoctrinement, et aussi de promouvoir la pensée objective. L'éducation de la jeunesse est le résultat d'influences diverses : la famille, le milieu, la culture ambiante... mais l'acteur essentiel de l'éducation des enfants est l'enseignement qui leur est donné à l'école. Enfin, une telle évolution exigerait que les élites intellectuelles se tournent résolument vers l'humanisme.

La première chose à faire, pour aller vers une société humaniste, serait de mettre politique et éducation en cohérence, en adaptant véritablement l'enseignement donné aux enfants aux principes démocratiques. Le terme « démocratie » a été utilisé pour des régimes politiques divers, mais l'histoire a imposé la distinction entre deux types de démocraties, dites populaire ou libérale. À la faveur des luttes populaires, dans certains pays, des intellectuels ont pris le pouvoir pour former une bureaucratie rouge, en qualifiant le régime de démocratie populaire. En réalité, il s'agissait de collectiviser l'économie, en opposition avec le libéralisme capitaliste qui restait la règle dans les pays de démocratie libérale. À la suite de plus d'un demi-siècle de confrontation et de luttes d'influence sur la scène mondiale, le collectivisme a sombré et le capitalisme est devenu la règle ; par suite, la tendance aujourd'hui est d'identifier la démocratie au libéralisme capitaliste.

Les formes de la démocratie peuvent varier, pour s'adapter au niveau de participation à la politique dont le peuple est capable en fonction de l'éducation de la population. Mais reste intangible, le principe général qui veut que le souverain soit le peuple et que ceux qui détiennent le gouvernement par délégation, l'exercent dans l'intérêt général du peuple gouverné. En outre, comme l'a dit Alain, la démocratie c'est « le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants ».

On a dit que le suffrage universel amènerait le « gouvernement de l'ignorance et du vice », qu'il mettrait le pouvoir aux mains d'un prolétariat de canailles. Cela présupposait que le peuple demeurerait ignorant et vicieux ; les héritiers des Lumières, à la fin du 19e siècle et au début du 20e, ont été les promoteurs d'une éducation nationale destinée à démentir ce pronostic, ainsi qu'à promouvoir la souveraineté du peuple et la mobilité sociale.

Par la suite, on a néanmoins constaté que malgré l'extension de l'éducation et du suffrage, le peuple restait marginalisé. Car les élites en place considèrent qu'il reste dangereux de laisser la masse humaine réputée ignorante et incapable, devenir dominante. En réalité, les élites détenant le pouvoir sont toujours tentées de l'exercer à leur profit, et en même temps elles restent réticentes à favoriser le renouvellement social de la classe dirigeante[5].

Dans les pays de démocratie libérale, ou néolibérale, le véritable pouvoir, qui s'impose de plus en plus au détriment du pouvoir politique, est celui des acteurs financiers qui contrôlent les moyens de production, d'échange et de communication. Les élites dirigeantes considèrent qu'elles doivent se donner la possibilité d'imposer leur volonté. Elles auraient en effet le devoir de trouver les moyens de faire accepter par les gouvernés les mesures d'intérêt général susceptibles d'entrer en conflit avec certains intérêts particuliers, et dans cette optique, d'utiliser des techniques d'information qui ont montré leur utilité.

Mais les ficelles de la propagande rebaptisées techniques de communication, sont largement utilisées pour garder le public sous contrôle et au besoin, faire prévaloir les intérêts d'un groupe au pouvoir, contre l'intérêt général.

Tous les organes dirigeants se sont dotés de services de relations publiques, voués au contrôle de l'esprit public. Les opérations de communication sont conçues pour laisser le peuple dans le brouillard. Il s'agit d'endormir l'animal, dont l'ignorance et les superstitions pourraient troubler l'ordre économique. On assiste à l'essor spectaculaire de la propagande marchande sous le nom de publicité. Soutenues par les détenteurs du pouvoir économique, des fondations prennent le contrôle des universités et des grandes Écoles. Les puissances économiques exercent partout leur influence sur l'éducation, directement dans l'enseignement privé et indirectement par l'intermédiaire du pouvoir politique dans l'enseignement public. La privatisation de l'éducation, selon le modèle anglo-américain, empêche de fait la majeure partie de la population d'élever convenablement ses enfants. Or, le déclin du Q.I. ne se situe pas dans les gènes, c'est là une idée qui sert à escamoter la politique sociale.

Les démocrates, au contraire, s'identifient au peuple et lui font confiance. Le modèle européen, qui a consolidé les systèmes sociaux d'aide à la famille et à l'enfance, est plus proche de l'idéal démocratique d'égalité des chances et de promotion sociale. Mais pour former des citoyens, il reste nécessaire de mettre au clair les idées sur ce que doit être la démocratie et de les enseigner. En outre, l'éducation elle-même doit être un apprentissage de la démocratie. Pour y parvenir, il faudrait faire l'unité du système éducatif, autrement dit de l'enseignement, sous l'autorité d'un pouvoir politique démocratique, attaché à l'intérêt général de la nation et au bien-être du peuple.

L'éducation à donner à tous les jeunes dans ce cadre devrait être une éducation libertaire. Il est immoral de former des enfants à travailler dans l'unique perspective du gain. L'ordre démocratique devrait se fonder sur l'affranchissement des travailleurs et leur libre association, deux notions issues du libéralisme classique des Lumières. Il est nécessaire de mettre en évidence les effets pervers d'une éducation autoritariste. Par exemple, le fait de fixer comme objectif de donner à tous le même niveau de connaissances, conduit à construire un programme à enseigner en vue d'un examen. L'élève étudie alors pour l'examen, le réussit, et deux jours après il a tout oublié. Mais on peut aller plus loin ; pour adapter l'Éducation aux techniques managériales, on va évaluer les enseignants en fonction de la réussite de leurs élèves, voire les faire évaluer par les élèves, considérés comme des clients. On est ici dans la logique conduisant à considérer la culture comme une valeur marchande et l'être humain, y compris l'enseignant, comme un simple vecteur de l'économie.

L'éducation passe forcément par les écoles, mais aussi par les circuits de l'information, autant que par l'influence du milieu social. La mise en cohérence de l'éducation avec la culture ambiante, souvent recherchée au nom de la modernisation des méthodes pédagogiques, conduit à l'endoctrinement et à la police de la pensée. Comme exemples historiques de police de la pensée, on peut citer ce qui s'est passé au 20e siècle dans les pays totalitaires, mais aussi le « Péril rouge » conjuré par le Président Wilson, puis le maccarthisme, aux États-Unis. On peut donc parler pour l'éducation d'une fonction d'endoctrinement. L'un des aspects de cet endoctrinement concerne les concepts économiques, prenant valeur de dogme. Il s'agit là de s'assurer que ce qui est enseigné ne met pas en cause la communauté, le système.

Le but d'une éducation libertaire serait de promouvoir la « Pensée objective ». On sait à quel point le comportement humain soumis à l'influence du groupe est conformiste et irrationnel. C'est pourquoi l'éducation libertaire devrait donner à l'individu l'habitude de penser par lui-même et non le formater à la pensée de ses maîtres.

Soumis à la pression des moyens de communication et d'endoctrinement, l'individu doit assurer son autodéfense intellectuelle, ce qui lui demande un effort pour se tenir informé de sources diverses. C'est une attitude intellectuelle qu'il faudrait faire acquérir dès l'école, afin que le citoyen ait ensuite ce réflexe, pour se faire une opinion personnelle à partir des informations diffusées par les média. « Car il n'est pas rare que l'angle d'un article ou d'une dépêche, en se conformant à des impératifs doctrinaires, nous induise en erreur[6] ». Il faut lire entre les lignes. Il subsiste toujours de ce qui est occulté, quelques indices que l'on pourra débusquer. Souvent le titre et le chapeau dégagent les grandes lignes de ce que l'on veut faire retenir au lecteur ; il est intéressant de lire tout de suite les derniers paragraphes.

Nous sommes dans une nouvelle féodalité marchande où les intellectuels, dont la plupart participent à l'Enseignement à ses différents niveaux, sont le plus souvent soucieux de légitimer le nouvel esprit du temps. L'intellectuel se vit comme un professionnel de la résolution technique des problèmes politiques, économiques, ou plus généralement de société, et il s'associe de plus en plus à l'exercice du pouvoir. C'est « La trahison des Clercs[7] ». Le clerc de la société moderne se montre en général docile aux lois qu'il accepte de subir. Il ne devrait pas cependant aliéner son droit de penser librement et de le dire ou de le publier. Il se doit à la vérité. Il est « engagé », pour reprendre un mot que Montaigne s'appliquait à lui-même. Mais quand au lieu de dire toute la vérité, sans souci des conséquences, il transige dans l'intérêt d'une cause pour laquelle il milite, alors il trahit.

Il ne s'agit pas de critiquer la science dont sont légitimement détenteurs les intellectuels, mais de stigmatiser le dévoiement des valeurs intellectuelles, asservies à une nouvelle idéologie qui cherche à enlever au peuple tout contrôle sur le processus décisionnel, au motif que la politique économique et sociale, bien trop complexe pour le commun des mortels, doit être confiée à des soi-disant experts à la solde de l'idéologie officielle. Les revues de sciences sociales rédigées par ces spécialistes opposent fréquemment « l'approche émotionnelle » à « l'approche rationnelle ». Les arguments établissant les solutions convenables sont toujours présentés comme « raisonnables ». Pourtant ils sont souvent en réalité contraires à la saine raison qui devrait établir les moyens appropriés « pour parvenir à une fin en prenant en considération les facteurs moraux et émotionnels[8] ».

Être raisonnable, implique que l'on utilise sa raison aussi pour voir s'il y a cohérence logique, entre le problème que l'on traite et les principes fondamentaux que dicte la conscience. Le principe de finalité humaine de tous les actes, qui est à la base de l'humanisme des Lumières, est la référence obligatoire à tous les raisonnements, destinés à éclairer l'action.

Pour une évolution vers une société humaniste par l'éducation, il faudrait donc rendre universel l'enseignement de l'humanisme et de la démocratie et pour cela réaliser l'unité du système éducatif.

L'enseignement devrait mettre l'accent sur la prééminence de la raison par l'étude des sciences et relativiser la pseudoscience économique. Enfin l'essentiel serait avant tout de former l'élite intellectuelle à la démocratie et à l'humanisme.

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En résumé, les principes d'une éducation humaniste devraient permettre la formation d'individus créatifs, raisonnables et libres de leurs jugements. Malheureusement, notre société d'économie néolibérale exerce sur la formation des jeunes une influence politique tendant à les soumettre au marché du travail et à la toute-puissance de l'argent. Ce n'est que par l'humanisme des intellectuels et une éducation humaniste donnée à la jeunesse, que la société pourrait évoluer vers une véritable démocratie.

Finalement, l'avenir de la société dépend des écoles et des universités, et tout particulièrement de ceux qui y forment la jeunesse. Les intellectuels ne sont pas là pour soutenir tel ou tel parti au pouvoir. Mais sont-ils en droit de pratiquer une neutralité technocratique ? Les enseignants humanistes devraient se considérer comme investis d'un devoir de critique !

Toutefois, une véritable investigation scientifique de la sophistique socio-économique, serait évidemment considérée comme un radicalisme dangereux ; le courage est aussi une vertu nécessaire à l'intellectuel.

Claude Desgrèzes

 


[1] L'idée de cette étude est née de la lecture de Noam Chomsky : « Pour une éducation humaniste » l'Herne 2010. Éminent linguiste, rationaliste et innéiste, contre l'empirisme et le constructivisme, militant socialiste libertaire, Noam Chomsky est attaché aux principes des Lumières et à l'idéal d'une société libre, juste et véritablement démocratique.

[2] Selon la belle formule de Pic de la Mirandole.

[3] Action de provoquer des réflexes « conditionnés », aboutissant à un dressage, pour les animaux. Mais aussi : action ayant pour but de susciter chez une personne des habitudes de pensée, de comportement, par des moyens agissant, le plus souvent à son insu, sur sa psychologie et sa conscience.

[4] Adam Smith (1723-1790) « le père de l'économie politique » a exposé dans « La Richesse des Nations » paru en 1776, les causes de cette richesse et une théorie de la croissance d'une économie nationale. Selon lui, la liberté laissée aux individus d'agir suivant leur propre intérêt, permettra seule la meilleure utilisation des ressources productives.

 

[5] Stuart Mill (1806-1873) philosophe et économiste, associait sa pensée libérale à une attirance pour le socialisme utopique. Il a écrit « On Liberty » l'un des bréviaires du libéralisme. Il a pressenti que la démocratie pouvait se traduire par l'oppression de l'individu par le groupe et de la minorité par la majorité.

 

[6] Noam Chomsky « Pour une éducation humaniste » p. 70

[7] Julien Benda (1867-1956) est l'auteur de « La Trahison des Clercs ».

[8] Noam Chomsky, op. cité.

 

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