Humanisme et Lumières demain

Les idées du Siècle des Lumières sont aujourd'hui, pour de mauvaises raisons, déconsidérées par ceux qui interprètent les grandes catastrophes humaines du 20e siècle comme des conséquences des Lumières et pensent qu'il faut ré-enchanter le monde en se tournant à nouveau vers Dieu et la religion.

Une telle évolution serait une régression, un retour à l'obscurantisme et à la barbarie des guerres de religions ; il nous faut donc trouver les Lumières susceptibles d'éclairer l'avenir de l'humanité pour une marche heureuse vers plus de paix et plus de civilisation.

Kant explique bien l'essentiel sur les Lumières. C'est pour lui la sortie de l'homme de sa minorité, c'est-à-dire d'un état où il était encore incapable de penser par lui-même. Si l'être humain se maintient dans cet état infantile, c'est simplement le plus souvent par paresse et lâcheté, parce qu'il a choisi la facilité, celle qui consiste à accepter de penser comme le lui ont appris ceux qui ont eu autorité sur lui.

Au contraire : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Conseille Kant.

Inculquer les Lumières, c'est donc conduire chaque être humain à penser par soi-même. On ne peut y parvenir que lentement, par une longue éducation. Pour cela, il n'est rien requis de plus important que la liberté : celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Renoncer à l'acquisition d'un savoir alors qu'il est accessible, c'est aller contre les droits sacrés de l'humanité. C'est pourquoi ceux qui ont acquis des connaissances, doivent avoir le droit de les soumettre au jugement du public. Kant est un excellent avocat des Lumières, peut-être le meilleur. Toutefois, il se situe dans son époque quand, se mettant à la place du Grand Frédéric, il recommande : « Raisonnez tant que vous voudrez et sur les sujets qu'il vous plaira, mais obéissez ! »

 

Quelles sont les questions qui se posent aujourd'hui à propos des Lumières ? Et comment, pour l'avenir, redéfinir l'humanisme ? Le point essentiel n'est-il pas l'effort volontariste  de l'homme sur lui-même ?

La philosophie des Lumières présente deux courants ; l'un sentimentaliste et spiritualiste représenté en France par Rousseau, l'autre rationaliste et athée représenté par Diderot ; faut-il choisir ou dépasser ? Pour l'avenir, comment redéfinir les Lumières ? La liberté induite par les Lumières ne conduit-elle pas à des excès ? Et par la puissance des média, la liberté de pensée ne devient-elle pas illusoire ? La raison, et particulièrement la raison spéculative, n'est-elle pas dangereuse ? La raison est-elle morale ? Le progrès des sciences et le progrès moral sont-ils liés ? Ne faut-il pas à côté du progrès qui va parfois trop loin, admettre pour le bien de l'humanité certaines régressions ? Quelle relation entre Lumières, progrès et exploitation économique ? Quel rapport entre Lumières et Pouvoir, avec la politique, le concret, l'action ? Quelle relation entre Lumières et démocratie ? Démocratie directe ou démocratie représentative ? Quelles dérives sont possibles à partir d'une idéologie des Lumières ? Comment assurer la vigilance, conserver la capacité de révolte ?

 

Pour s'opposer à la régression vers l'obscurantisme du recours au surnaturel et au relativisme généralisé qui se répandent aujourd'hui, il est nécessaire de réaffirmer la valeur des idées des Lumières, et de les mettre à jour en précisant leur sens, sur les points qui ont pu dans le passé donner prétexte à des interprétations contraires à l'esprit général qui les anime.

Il conviendra d'abord de réaffirmer le fondement essentiellement humaniste des Lumières et d'en préciser les exigences dans le monde moderne.

Il faudra insister sur l'indissociabilité des trois composantes de la doctrine, que sont : La volonté d'autonomie de l'individu, la finalité humaine qui doit être celle de tous les actes, et l'universalité des principes qui doivent régir la morale publique.

Nous devrons préciser le domaine et les limites de la raison, montrer que le plus raisonnable est de laisser à chacun le choix de ses conceptions métaphysiques, et expliquer comment le refus de l'argument d'autorité conduit à la liberté de conscience, à la liberté de pensée et à la laïcité. Il sera nécessaire de réaffirmer clairement que l'utopie du progrès, que proposent les Lumières, est celle du progrès humain, c'est-à-dire de l'être humain et de la société humaine, et que le progrès humain ne s'appuie sur le progrès scientifique qu'en tant que moyen. Nous admettrons que des perversions sont toujours possibles, surtout si l'on isole l'un des aspects de la doctrine, en négligeant les autres et en oubliant la finalité humaine qui doit être celle de tous les actes. Enfin, il faudra revenir sur un aspect essentiel de la doctrine : l'éducation de la jeunesse à l'humanisme, par l'usage de la raison, la recherche de connaissances, et la pratique de la tolérance.

 

La raison est la seule source de lumière identifiable par tous les hommes. Elle est l'argument qui donne à l'homme sa dignité et lui permet de réfuter les idéologies et les superstitions tendant à le maintenir sous l'autorité de puissances lui déniant le droit d'être lui-même. C'est sur cette idée-là que repose le fondement humaniste des Lumières. C'est pourquoi il reste essentiel, en vue de la pérennité de l'esprit des Lumières, de veiller à ce que tous les êtres humains soient éduqués à l'usage de la raison par l'étude des sciences.

Mais le recours à la raison, s'il est à la base de l'humanisme comme de toute réflexion philosophique, ne suffit pas à définir l'humanisme.

Aujourd'hui et pour l'avenir, il est possible de redéfinir l'humanisme comme l'attitude éthique prenant pour déterminant de tous les actes, de toutes les réalisations, de toutes les lois, ce qui est bon pour l'être humain, et en même temps bon pour l'humanité dans son ensemble et pour son avenir. Tous les actes doivent avoir une finalité humaine.

Comme la vérité se vérifie par l'élimination de l'erreur, l'humanisme se justifie par le refus de tout ce qui est susceptible de nuire à l'intégrité de l'être humain, à sa dignité et à sa libre recherche du bonheur, ainsi que le rejet de tout ce qui conduirait la société à la disharmonie, au désordre, à la guerre, et aboutirait à mettre en cause la progression vers une humanité meilleure, plus éclairée et plus heureuse.

Le point essentiel, pour assurer ensemble l'avenir de l'humanisme et des Lumières, pour orienter leur évolution vers ce que nous pourrions appeler un humanisme éclairé, est sans aucun doute l'amélioration de l'homme par son effort volontariste sur lui-même, à partir de la conviction que tout être humain est perfectible. Car on ne naît pas homme, on le devient ! L'être humain, en effet, n'est pas simplement un produit de la nature, il est surtout le produit d'une culture. D'où il résulte que l'humanisme ne deviendra la culture dominante que lorsque tous les êtres humains auront été éduqués et éclairés dans ce sens.

 

Revenons aux deux courants historiques des Lumières ; l'un sentimentaliste et spiritualiste, représenté en France par Rousseau, l'autre rationaliste et athée, représenté par Diderot. Nous avons vu que dans la suite des temps, il s'est développé d'un côté un humanisme chrétien, attaché au maintien de l'autorité morale de la religion sur les lois de la société, et par ailleurs un humanisme philosophique, qui a voulu libérer l'homme de toute autorité religieuse, pour s'en remettre aux lois d'un État laïque.

Humanisme religieux ou humanisme athée : il n'y a pas à choisir, il faut dépasser ! Kant, le meilleur avocat des Lumières, disait : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » Si nous restons fidèles à cette maxime, nous serons obligés d'admettre que chacun, par son propre entendement, peut parvenir à des conclusions différentes sur les conceptions métaphysiques, car elles échapperont toujours à la certitude scientifique. Il faut donc trouver un humanisme qui dépasse ce dilemme. Il existe ! C'est l'humanisme philosophique laïque. Il se fonde sur la liberté absolue de conscience.

 

La liberté des individus, voulue par les adeptes des Lumières, pourrait conduire à des excès, si elle se déconnectait de l'éthique humaniste. Certains pourraient réclamer, selon un cliché bien connu, la liberté du renard dans le poulailler !

Est contraire à l'humanisme : toute atteinte à la dignité de l'autre, toute action de nature à soumettre l'autre pour l'exploiter, toute attitude visant à limiter chez les autres les libertés que l'on s'accorde à soi-même.

Enfin, au sujet de la liberté d'expression, d'opinion, de pensée, ces libertés qui sont au cœur de l'esprit des Lumières, on objecte aujourd'hui qu'avec l'influence omniprésente des média elles deviendraient illusoires. Oui, les média par la profusion de l'information, sa simplification pour émouvoir et frapper, sa péremption rapide, contribuent à un conditionnement de la pensée, voire à dispenser une pensée unique. Conserver sa liberté de pensée exige de la volonté et demande un effort, pour diversifier ses sources d'information et exercer son jugement jusqu'à se former librement une opinion personnelle.

Encore une fois, c'est une capacité qui dépend largement de l'éducation reçue.

Quant à la liberté d'expression, elle ne devrait pas avoir d'autres limites dans l'espace public, que celles qui interdiraient, outre la diffamation des personnes, les provocations à la haine, à la violence et à l'exhibitionnisme sexuel.

 

Tout en se maintenant sur leurs fondamentaux, que les deux siècles derniers ont consacrés, pour l'avenir les Lumières devraient être redéfinies.

En premier lieu il faut affirmer qu'une civilisation des Lumières ne pourra être fondée, que sur l'éducation de tous les jeunes à la citoyenneté, à partir d'une culture centrée sur les sciences et la connaissance de l'être humain, et comportant une ouverture sur la pensée philosophique, les lettres et les arts.

Les lois de la société, tout comme l'éducation, devraient :

-Promouvoir l'autonomie de l'individu, tout en appelant sa conscience sur l'obligation de finalité humaine de ses actes ;

-Assurer le progrès de l'être humain, dans ses qualités physiques comme dans sa santé psychique et ses conditions matérielles de vie ;

-Rechercher la paix et le progrès de l'Humanité par l'amélioration de l'être humain et le développement de la solidarité à tous les niveaux d'organisation des sociétés humaines ;

-Proclamer l'universalité des principes sur lesquels doivent reposer les lois de la vie en société ;

-Universaliser l'esprit de laïcité, laissant à chacun sa liberté absolue de conscience et reconnaissant tous les individus comme citoyens à égalité, tout en tolérant à titre privé les croyances religieuses et les traditions culturelles.

Les trois composantes essentielles de la doctrine, dont il conviendra d'assurer la pérennité et l'indissociabilité sont :

L'universalité des principes moraux,

La volonté d'autonomie de l'individu,

La finalité humaine de tous les actes.

 

L'universalité des principes moraux implique leur indépendance par rapport aux religions et aux cultures particulières, et donc leur définition par la loi dans un esprit de laïcité.

L'autonomie de l'individu doit avoir pour corollaire sa responsabilité.

Par finalité humaine de tous les actes, il faut entendre l'obligation d'agir dans le sens du meilleur accomplissement de l'être humain, pour soi-même comme pour tout autre, mais aussi pour la paix et l'harmonie de l'ensemble de la société humaine. Ceci implique une prise de conscience de l'égalité fondamentale en dignité et en droits de tous les êtres humains et de leur solidarité. On pourrait parler d'un idéal de fraternité humaine universelle. L'autonomie de l'individu, doit donc se concilier avec sa dépendance vis-à-vis de l'ensemble de la société et avec ses devoirs de solidarité envers ses semblables. L'égoïsme naturel doit être compensé par le sentiment de la communauté de destin en l'humanité.

 

La « Raison » reste, y compris pour définir les principes moraux, l'indispensable lumière qui doit éclairer en toutes circonstances la réflexion, la délibération et le débat. On a pu présenter la raison comme un danger, en alléguant des dérives susceptibles de se produire, qui conduiraient à justifier logiquement des actes insoutenables au plan de la morale. Car en effet la raison spéculative peut se révéler dangereuse, si elle est mal comprise.

La raison peut se définir comme la capacité de jugement permettant de distinguer le vrai du faux afin de connaître et d'agir, mais cela sans préjuger de la valeur éthique de ce savoir ou de cette action. La raison n'est pas morale ! Mais elle n'est pas non plus immorale. La raison spéculative est à rapprocher de la logique, qui en quelque sorte, en est un synonyme. La logique est la science des normes formelles de la vérité. La Raison spéculative c'est l'art de tirer les conséquences logiques, de propositions acceptées au départ comme données du problème à résoudre. La moralité ou l'immoralité se situent dans le problème, ses données et ses solutions, pas dans le raisonnement. Apprendre à raisonner juste, ne conduit pas à justifier l'immoralité. Cependant, en se limitant à l'aspect de logique formelle, spéculative, de la résolution d'un problème, on pourrait être tenté de fermer les yeux sur la nature morale ou immorale du problème et des solutions proposées. Ce ne serait pas raisonnable. Car être raisonnable c'est être sage, et cela implique que l'on utilise sa raison aussi pour voir s'il y a cohérence logique, entre le problème que l'on traite et les principes fondamentaux que dicte la conscience. Le principe de finalité humaine de tous les actes, qui est à la base de l'humanisme des Lumières, est la référence obligatoire à tous les raisonnements destinés à éclairer l'action.

 

L'ambition de « Progrès », qui caractérise l'esprit des Lumières, a été mise en cause comme génératrice de dangers pour l'humanité. Certains se demandent s'il ne faudrait pas, à côté de la notion de Progrès, admettre la possibilité, voire la nécessité, de certaines régressions. En général on parle là des progrès de la science dont certains, comme ceux de l'armement et notamment de l'armement nucléaire, présentent effectivement un danger pour le monde. La régression qui consisterait à détruire ces armements en totalité, pourrait à première vue apparaître comme bénéfique. À première vue seulement, car le fait de revenir à des armements moins terrifiants, pourrait rendre plus acceptable le recours à la guerre, entre des pays que la perspective d'une guerre nucléaire a jusqu'ici dissuadés de se battre. Il faudrait donc y regarder de plus près.

Toutefois, il est certain que les progrès de la science et des techniques, engendrent une quantité innombrable de dangers potentiels pour l'homme et pour l'humanité et même pour la planète. De la même façon que tout outil peut devenir l'arme d'un crime, on pourrait dire que tout progrès scientifique peut être utilisé de façon malfaisante.

Mais le débat est ici faussé par le fait de confondre l'ambition de progrès des humanistes, avec le progrès scientifique. Bien sûr, le progrès de l'humanité a quelque chose à voir avec le progrès des sciences et des techniques. Il n'y a aucun doute que la science a permis des développements améliorant la vie d'un grand nombre d'êtres humains. Elle a également beaucoup facilité la communication entre les hommes et de ce fait, participé à la diffusion de la connaissance et à la prise de conscience de la solidarité globale : solidarité de l'humanité et solidarité de l'être humain avec toute la nature.

Admettons donc l'importance de la science. Mais le progrès de l'humanité, c'est le progrès de l'être humain et le progrès des sociétés humaines. Ce progrès, que recherche l'humaniste, se mesure pour chaque être humain à sa santé physique et psychique, à son niveau de culture, à sa qualité de vie dans une société pacifiée. Le progrès recherché pour les sociétés humaines c'est la paix, la démocratie, la laïcité, la cohésion sociale par la solidarité. Le progrès recherché pour l'ensemble de l'humanité, c'est la prise en charge du bien commun que représentent la Terre et son environnement cosmique.

Le progrès humain est aussi un progrès politique. Dans cette ambition de progrès humaniste, le progrès des sciences a un rôle à jouer, un rôle peut-être même déterminant, jusque dans les sciences politiques.

Mais le progrès des sciences et le progrès moral ne sont pas directement liés. Depuis que l'homme a saisi une pierre pour en faire un outil, il a été en même temps capable d'en faire une arme. Là encore, il convient de mettre l'utilisation des progrès de la science, en accord avec le principe de la finalité humaine de tous les actes.

Il revient à la politique d'imposer, au citoyen dans le cadre de la nation et aux nations dans un cadre global, des règles de comportement cohérentes avec les principes d'un humanisme éclairé.

 

L'un des éléments du progrès de l'humanité est le fonctionnement de l'économie, c'est à dire des modalités de production et de distribution des richesses, ou plus précisément des moyens du bien-vivre. C'est un domaine dans lequel la liberté a joué un rôle déterminant au cours des deux derniers siècles. Liberté d'entreprendre et liberté du commerce ont été des stimulants efficaces de l'économie au plan mondial. Dans le monde globalisé qui est celui de l'avenir, la question se pose, de savoir si la liberté dans le domaine économique, ne doit pas être conciliée avec plus de régulation et de dirigisme volontariste ? Il s'agirait là d'éviter les perversions d'un système qui, en fondant le fonctionnement de l'économie exclusivement sur l'accumulation du capital entre les mains d'opérateurs privés, sans égards pour le niveau de vie des producteurs, des travailleurs et de la masse, ni pour l'économie des ressources de la planète, pérenniserait et accroîtrait les inégalités, tout en mettant en cause les conditions de vie des générations futures. Il s'agirait donc peut-être d'équilibrer la liberté de s'enrichir par le devoir de solidarité, et de revenir d'une économie complètement financiarisée, à une économie plus entrepreneuriale, soucieuse de prospérité générale, de cohésion des sociétés humaines et de gestion prudente du patrimoine commun de l'humanité.

Nous touchons ici à la politique, c'est-à-dire à ce qui est relatif à l'organisation de la cité, à la chose publique, au gouvernement, à l'État, et plus largement aujourd'hui à l'organisation de la société au plan mondial. La politique, c'est en effet le point d'application privilégié de la philosophie des Lumières.

L'organisation de la cité doit être fondée sur la souveraineté collective de l'ensemble des citoyens, tous libres et égaux en droits et en dignité, dans un régime démocratique, ou mieux : républicain et de forme laïque. Le citoyen, parmi ses droits fondamentaux, doit jouir de la liberté absolue de conscience.

Les formes de la démocratie peuvent varier, pour s'adapter à l'état de conscience politique des citoyens, lié à leur éducation. Mais reste intangible le principe général, qui veut que le souverain soit le peuple et que ceux qui détiennent le gouvernement par délégation, l'exercent dans l'intérêt général du peuple gouverné.

En outre, comme l'a dit Alain, la démocratie c'est « le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants ».

Dans la mesure où le gouvernement doit être exercé pour l'intérêt général, et de façon continue par des personnes éclairées, la démocratie représentative reste le plus souhaitable. La démocratie directe n'est acceptable que pour de très petites collectivités.

L'intérêt général doit toujours avoir le pas sur les intérêts privés, et la chose publique être l'objet principal des soins de l'État. C'est la raison pour laquelle il serait absurde de prétendre que l'État n'aurait aucune légitimité à intervenir dans l'économie, alors que toute la vie, personnelle autant que collective des citoyens, repose sur la bonne marche de l'économie.

Au plan mondial, l'humanité devrait être dotée d'institutions fédérant l'ensemble des entités nationales, autour d'une charte commune reposant sur les principes humanistes et définissant un cadre d'évolution en vue de conduire, dans la paix, l'ensemble de l'humanité à un niveau commun de développement et de civilisation, tout en respectant les spécificités culturelles des différentes nations.

 

Enfin, il faut y revenir, l'éducation de la jeunesse est la condition indispensable d'une évolution de l'humanité dans le sens d'un humanisme éclairé. Il s'agit donc d'éduquer la jeunesse à l'humanisme ; cela par l'usage de la raison, l'acquisition de connaissances, et la pratique de la tolérance. Il est en priorité essentiel, en vue de la pérennité de l'esprit des Lumières, de faire en sorte que tous les êtres humains reçoivent d'abord une éducation à l'usage de la raison, par l'étude des sciences.

À partir d'une culture ainsi centrée sur les sciences et la connaissance de l'être humain, comportant une ouverture sur la pensée philosophique, les lettres et les arts, il s'agirait de former des citoyens. La civilisation de l'humanisme éclairé ne peut être fondée que sur l'éducation de tous les jeunes à la citoyenneté. Il faudrait leur apprendre à assumer leur autonomie d'individu, et les amener à mesurer en toutes circonstances la finalité humaine de leurs actes. Les structures d'éducation devraient assurer à chacun sa meilleure progression intellectuelle, mais aussi son développement physique et son équilibre psychique, dans un cadre matériel conçu pour atténuer l'impact des différences de conditions sociales. L'éducation à la citoyenneté devrait faire l'objet d'un soin particulier. Elle devrait mettre en exergue l'universalité des principes sur lesquels doivent reposer les lois de la vie en société ; expliquer la laïcité, qui laisse à chacun sa liberté absolue de conscience et tolère à titre privé les croyances religieuses et les traditions culturelles ; enseigner enfin les grands principes de liberté, d'égalité et de fraternité humaine, ainsi que l'importance de la tolérance de la diversité.

 

L'humanisme ne deviendra la culture universelle qu'il voudrait être, que lorsque tous les êtres humains, les hommes et les femmes dans tous les pays, auront été éduqués dans ce sens.

Mais la perversion d'une idéologie, fût-elle un humanisme éclairé, est toujours possible, notamment en mettant exclusivement l'accent sur la lumière de la raison, au détriment de son essence humaniste. Il est donc nécessaire d'assurer une vigilance et de conserver la capacité de résistance.

Claude J. DELBOS

 

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