« Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » pouvait-on lire sur le frontispice de l’Académie d’Athènes, l’école créée par Platon, qui en avait conçu la devise. Les figures géométriques foisonnent autour de nous.
La ligne de l’horizon,
Le cercle du Soleil,
La sphère de la boule de gui sur nos bouleaux, le long des routes.
L’architecture insensée des flocons de neige.
Mais aussi des spirales et des ellipses.
Une spirale correspond par exemple au nombre d’Or, que l’on découvre dans la Nature.
Une première ellipse est astronomique. La course du Soleil se dessine chaque jour dans nos cieux, de l’Est vers l’Ouest. Course ascendante puis descendante, du matin vers le midi, puis jusqu’au soir, minuit, selon des inclinaisons qui varient en fonction de la période de l’année.
À une autre échelle, d’un Solstice à l’autre, en passant par les équinoxes, la course du Soleil forme une deuxième ellipse, par le calcul de la durée du jour, et de celle de la nuit.
Ainsi le Temps est-il représenté de façon cyclique dans notre esprit. Nos heures règlent nos rythmes de vie et de travail en fonction des astres, et nous inscrivent dans le calendrier de l’univers tout entier : la Grande Horloge dont l’Horloger est le Mystère.
Les solstices proposent deux dimensions temporelles.
Deux courbes se dessinent et se rejoignent à partir des deux Saint Jean.
À la Saint Jean d’Hiver, la fête de Jean l’Évangéliste, le 27 décembre, la nuit est la plus longue, et le jour commence sa marche ascendante.
À la Saint Jean d’Été, la Saint Jean-Baptiste, le 24 juin, le jour atteindra son paroxysme, et la nuit sera la plus courte de l’année.
En une année, nous allons donc parcourir deux distances symétriques. Du solstice d’hiver vers le solstice d’été, nous allons monter vers la lumière la plus haute. Puis humblement, nous allons ensuite redescendre vers la lumière la plus faible, nichée au cœur des ténèbres de l’hiver, pour atteindre la nuit la plus longue de l’année. Inexorablement, le cycle de la vie, de la nature, de la terre et du ciel, recommencera sa danse à la Matisse, ou à la Dufy, sa ronde joyeuse, chamarrée des couleurs de saison.
Les agriculteurs, les paysans, les amoureux de la Nature, observent et respectent le rythme que la Nature leur impose. Chaque Saint Jean est une invitation : aux semences, en hiver, aux moissons, en été. C’est le métronome des récoltes passées, ou à venir. La culture de la terre, pensée dans la nuit ou les faibles lueurs de décembre, apportera la nourriture aux Hommes en plein été, au moment propice pour préparer leurs réserves, afin de passer l’hiver suivant. Le monde moderne, féru de consommation immédiate et d’emballages pléthoriques, a largement perdu, dans le monde occidental, la boussole des récoltes, de la prévision, des réserves. Dès que les humains se sont sédentarisés, au temps de la préhistoire, ils ont pourtant dû raisonner par rapport au climat et aux saisons, afin de pouvoir survivre durant l’intégralité de l’année.
La vie en société nous apprend à prendre place dans l’Univers cosmique qui nous entoure. La voûte étoilée infinie au-dessus de nos têtes, les directions qui nous orientent, le temps du jour du matin jusqu’au soir, contribuent à nous replacer dans l’Univers physique au cœur duquel nous sommes nés.
Cet Univers est aussi celui dans lequel nous mourrons, en tant qu’êtres humains. La Nature nous aide à comprendre que les cycles s’achèvent pour laisser la place à d’autres commencements. L’automne et l’hiver illustrent doucement et avec poésie la façon dont la vie se retire, après son plein épanouissement au solstice d’été. L’humilité n’a-t-elle pas pour étymologie l’humus de la terre à laquelle nous retournons tous. La lecture des évènements naturels, réguliers, nous enseigne une sagesse philosophique. L’observation de la Nature défait les rêves prométhéens, et offre la sérénité de l’acceptation de notre condition.
Si le Solstice d’été est appelé Porte des Hommes, c’est -selon moi- parce qu’elle nous annonce les ténèbres, et la mort. La part humaine de chacun d’entre nous est vouée à disparaître. Le Solstice d’hiver, à l’inverse, annonce la lumière qui grandit. Il promet une ascension vers le meilleur de nous-même, qui se révèle progressivement. Le Solstice d’hiver nous ouvre la Porte des Dieux, par laquelle nous pourrons avancer vers une part éternelle de nous-mêmes, que nous portons en notre sein, et qui nous survivra. Il s’agit de la Paix et de l’Amour que nous portons, et que nous donnons. La seule trace que nous laisserons derrière nous.
De la Porte des Hommes à la Porte des Dieux, il y a le passage d’un seuil, de la Terre vers le Ciel, de la mort à la Vie, de l’humus à l’humilité, la paix et l’amour. Et si Hermès Trismégiste, dans la Table d’Émeraude, nous apprend que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et que ce qui est en bas est comme ce qui est haut, nous pouvons comprendre la symétrie des courses du Soleil entre Est et Ouest, Ouest et Est, mais aussi entre Solstice d’été et Solstice d’hiver, et du Solstice d’hiver au Solstice d’été. Ce qu’un dessin de Géométrie illustre de façon évidente.
Nous avançons vers le Solstice d’hiver, en luttant contre les ténèbres envahissantes, puis nous faisons le chemin vers le Solstice d’été, en gagnant en luminosité. Le mouvement de balancier de nos existences est permanent ; mais l’impermanence de notre condition, elle, est constante. Nous sommes, toute la vie durant, en mouvement, en voyage, d’un pôle à l’autre de la journée, et de l’année calendaire.
De la Porte des Hommes à la Porte des Dieux est un cheminement, avec ses étapes, ses découvertes, ses paliers, ses partages, ses illuminations. C’est un parcours qui conduit du plus haut des cieux au plus profond de soi, d’autres diraient de la transcendance à l’immanence, et inversement, du meilleur de soi à la plus haute étoile, ou à la plus brillante : le Soleil.
En conclusion, je souhaite évoquer une autre façon de comprendre la voie qui relie la Porte des Hommes à la Porte des Dieux. Dans son ouvrage « le symbolisme du corps humain », Annick de Souzenelle décrit deux façons de mettre au monde. La première est l’accouchement par la voie du bas du corps, vers la Terre : c’est la Porte des Hommes. Les clavicules (petites clés) ouvrent, en sens inverse, par la montée, les voies vers la tête et l’au-delà : c’est la Porte des Dieux, celle de l’Esprit et de l’Âme, vers le Ciel.
Ysabeau Tay Botner